Le cas de la Western Governors University : L’Université virtuelle (http://www.wgu.edu/wgu/index.html)

Rachel Chouinard

VOL. 14, No. 2, 72-80

Résumé

La Western Governors University (WGU) se veut un nouveau type d’université canalisant quatre grandes forces évolutives qui s’exercent sur le milieu universitaire : l’avènement de la virtualité, le besoin de liberté des apprenants, le respect de l’hétérogénéité et la valorisation de la créativité. Elle se démarque en s’appuyant sur le pouvoir politique et en s’alliant avec les milieux économiques pour remplir sa mission sociale d’accompagnement des collectivités et des personnes dans la voie du développement et de la prospérité. Elle propose une formation universitaire axée sur l’acquisition de compétences, reconnues par les experts d’un domaine comme essentielles à la maîtrise de leur champ d’intervention. Ses programmes, offerts à distance mais aussi sur campus par des établissements traditionnels d’enseignement supérieur, sont découpés en petites unités assemblées par domaine et sous-domaines. Ceci permet aux étudiants d’obtenir une réponse « sur mesure » à leurs besoins de formation supérieure.

Abstract

The Western Governors University (WGU) sees itself as a new type of university, one that channels four evolutionary forces at work in the academic sphere: the advent of “virtuality,” learners’ need for freedom, respect for heterogeneity, and the recognition of the value of creativity. It stands out by relying on political power and joining with economics circles in order to fulfill a social mission geared to accompanying communities and individuals on the road to development and prosperity. It proposes a university education that is centered on developing the skills considered by experts in the field as essential to the mastery of their own domain of intervention. WGU’s programs, which are offered at a distance as well as on campus through traditional institutions of higher education, are structured in small units grouped according to domains and subdomains of expertise. This allows students to benefit from customized solutions to their postsecondary education needs.

Les universités à travers le monde multiplient les stratégies pour mettre les avancées technologiques en matière d’information et de communication au service de leur formation et de leur pédagogie. Selon Jerry Mechling, de la Kennedy School of Government rattachée à Harvard, les universités, tout comme les autres grandes organisations publiques, recourent majoritairement à quatre types de réponses pour faire face aux pressions que fait naître la révolution technologique. Certaines tentent de nier la chose ou d’y résister, soit en réduisant au minimum l’envergure du projet technologique, soit en le confiant à une équipe ayant peu de chances de le mener à terme. D’autres recourent à une stratégie incrémentale pour prendre en compte progressivement les progrès technologiques dans leur dynamique et leurs opérations. D’autres encore choisissent la voie de la réingénierie des processus pour rénover leurs manières de faire. D’autres enfin optent pour une vision entrepreneuriale et n’hésitent pas à créer une « autre entreprise » au sein de la leur pour réaliser le changement souhaité. Le cas de la Western Governors University (WGU) relève de ce dernier type de réponse et constitue l’une des transformations les plus audacieuses que l’établissement universitaire a entreprise pour capter le potentiel technologique.

La Western Governors University (WGU) se veut en fait un nouveau type d’université conçue pour une nouvelle génération. De ce fait, elle prend racine dans le sillon de plusieurs phénomènes émergents qui contribuent à la définir.

La WGU naît à une époque où quatre grandes forces évolutives envahissent particulièrement la scène universitaire :

Les Mots et Les Concepts Qu’Ils Véhiculent

Virtualité

L’organisation virtuelle n’est pas nécessairement visible puisqu’elle ne se donne habituellement pas de cadre physique ou de matériel défini. Elle existe plutôt dans une communauté d’intérêts qu’elle rejoint et qu’elle réunit. L’université virtuelle est donc par définition éclatée et distribuée. Elle trouve de nouveaux points d’ancrage au fur et à mesure de son développement et de sa mouvance. C’est l’université du cyberespace. Elle tisse sa structure virtuelle et se disperse au fil des lieux que sa communauté habite. Les étudiants et étudiantes qui fréquentent la WGU se trouvent en des endroits différents et travaillent en des temps différents. Il en va de même du côté de la production. L’université virtuelle est faite de services éclatés. Son corps professoral, son offre de programmes, ses équipes de production et de recherche sont dispersés en de multiples points et lieux différents.

HéTéRogéNéIté

Les intérêts que l’université virtuelle dessert et peut rejoindre grâce à sa dispersion dans l’espace et dans le temps sont très diversifiés. Elle s’ouvre à des besoins de formation et à des étudiants ou apprenants de toutes sortes. Cette ouverture à l’hétérogénéité des besoins d’apprendre et des personnes en quête de formation commande à son tour l’éclatement d’autres réalités de la vie universitaire comme la notion de programme, de crédits, de cheminements pédagogiques, etc. L’université virtuelle répond à l’hétérogénéité par l’hétérogénéité, en diversifiant ses services et les types de formation qu’elle dispense.

Liberté et Créativité

Le respect de la diversité des intérêts et des personnes, de même que la diversification des types de formation exigent que l’on accorde plus d’autonomie aux apprenants, tout comme aux personnes qui produisent et fournissent la formation accessible par l’université virtuelle. Virtualité suppose en effet qu’il faille gérer des personnes qu’on ne peut ni voir, ni contrôler. Ce type de gestion à distance n’est possible que si la confiance existe. La logique de dispersion et d’éclatement qu’épouse l’université virtuelle se répercute ainsi jusque dans sa façon d’encadrer les personnes. Les manières d’apprendre et de former que l’université virtuelle propose se diversifient à leur tour pour laisser plus de place à l’initiative et à l’expression de la force créative des personnes.

Les Traits Distinctifs de la Wgu

Virtualité, hétérogénéité, liberté et créativité contribuent donc à façonner la WGU dès le départ. Même dans sa manière de naître, la WGU se démarque en prenant racine dans le pouvoir politique. C’est Michael O. Leavitt, gouverneur de l’Utah, qui propose aux gouverneurs de l’Ouest américain, en 1995, de s’unir pour créer une entreprise conjointe de formation à distance. Ayant lui-même œuvré en formation à distance, Leavitt arrive à la conclusion que le développement de la formation à distance peut difficilement venir des universités et des collèges. Quatre obstacles majeurs freinent l’engagement des établissements d’enseignement supérieur à cet égard : bureaucratie, réglementation, tradition et concurrence. Par ailleurs, ce changement est nécessaire pour le développement et la prospérité des États de l’Ouest américain et de leurs communautés. Leavitt s’emploie donc à convaincre ses collègues des États de l’Ouest américain que les gouverneurs ont non seulement le pouvoir, mais aussi le devoir de faire tomber les obstacles qui empêchent les universités et les collèges de s’engager dans la formation à distance. Il lance un appel à la collaboration auprès de ses collègues gouverneurs. En juin 1996, treize gouverneurs signent une entente pour donner vie à une entreprise conjointe de formation à distance. Un an plus tard, en juin 1997, la WGU voit le jour et dès 1998, elle commence à dispenser ses formations. Dix-huit États et gouverneurs de l’Ouest font aujourd’hui partie de la WGU qui compte en tout une trentaine de partenaires issus aussi bien du monde de l’éducation que des milieux d’affaires.

Le futur se construit dans le présent, dit-on. Aussi, même si les gouverneurs et leurs partenaires ont d’abord imaginé la WGU comme une entreprise de formation à distance, dès le départ cette université virtuelle vouée à œuvrer dans le cyberespace se révèle bien davantage qu’une initiative de formation à distance. Certes, elle se démarque déjà par sa taille et sa portée puisqu’elle associe plusieurs institutions et plusieurs États. Elle se distingue encore par le type de partenariat qu’elle met de l’avant entre les milieux d’affaires et les universités et, bien sûr, par sa totale virtualité. Mais la dimension la plus révolutionnaire de la WGU n’est pas la virtualité, c’est son approche éducative, l’approche « par compétences », qui est novatrice.

La WGU ne « livre » pas des cours à distance, elle « livre » des compétences. Ce qu’elle mesure et accrédite, ce n’est ni le temps qu’on prend, ni le nombre de cours qu’on suit pour se former, ni même le cheminement qu’on emprunte pour ce faire, mais bien les acquis et les gains de connaissances que l’on réalise et les compétences que l’on maîtrise dans un projet d’études.

Dans cette conception de la formation universitaire, les compétences se résument aux habiletés et aux connaissances que les experts d’un domaine reconnaissent comme essentielles à la maîtrise de leur champ d’intervention. L’un des premiers avantages de l’approche par compétences réside dans la reconnaissance des acquis expérentiels. Dans une formation dispensée selon le mode par compétences, dès que l’on fait la démonstration qu’on maîtrise une compétence, la WGU la reconnaît et la certifie, et ce, peu importe la manière dont on a pu développer ou acquérir cette compétence.

On peut voir dans l’illustration qui suit que la WGU fonctionne comme une maison de courtage. Elle part des besoins de formation d’une personne, évalue son portefeuille de connaissances et de compétences, lui propose des avenues et des investissements pour augmenter ses acquis et vérifie ensuite les gains que la personne a réalisés afin de les certifier.

La façon de découper la formation constitue un autre avantage de l’approche par compétences. Habituellement, un programme offert selon l’approche par compétences est découpé en domaines (typiquement de 5 à 9 domaines). Chaque domaine correspond à un ensemble cohérent de savoirs et d’habiletés sur un sujet donné.

Dans le mode de fonctionnement de la Western Governors University, les compétences qui composent un domaine sont définies en collaboration par une équipe constituée à la fois de professeurs et d’experts du secteur privé. Il en va de même pour la conception des tests et des autres activités visant à vérifier la maîtrise d’une compétence avant de la certifier. Cette association des professeurs et des praticiens experts pour définir les champs de compétences est au cœur du partenariat université-entreprise, puisqu’elle permet la réconciliation des objectifs éducatifs et des objectifs plus pointus des employeurs. Ce couplage de la logique éducative et de la logique des marchés d’emploi constitue un avantage considérable pour l’employabilité des personnes.

Voici l’exemple d’une formation par compétences que la WGU offre. La figure qui suit montre qu’elle se découpe en six domaines.

En visitant le site de la WGU (http://www.wgu.edu/wgu/academics/comp_model.html), on découvre que chaque domaine se ramifie à son tour en plusieurs sous-domaines, afin de maximiser la flexibilité de diffusion de la formation et de pouvoir personnaliser la prise en compte des acquis. Le domaine du Raisonnement quantitatif appliqué (Applied Quantitative Reasoning), par exemple, exige la maîtrise d’un ensemble de connaissances et d’habiletés en mathématiques.

Ce domaine donne ainsi lieu à cinq sous-domaines : (a) Arithmétique/Algèbre, (b) Fondements en probabilités/statistiques, (c) Résolution de problèmes et raisonnement quantitatif, (d) Communication de données quantitatives et (e) Techniques et technologie quantitatives (calculatrices et ordinateurs).

Le fait que la formation dispensée par compétences soit ainsi découpée en petites unités et assemblée par domaines et sous-domaines permet aux étudiants qui fréquentent la WGU d’obtenir une réponse « sur mesure » à leurs besoins de formation. Ce découpage permet du même coup à la WGU d’accueillir tous les types de besoins de formation : éducation des adultes, mise à niveau des connaissances pour les personnes en emploi, début ou fin d’une formation de premier cycle, obtention d’un grade, acquisition d’une formation professionnelle ou engagement dans un cheminement de formation continue.

L’Offre de Formation de la Wgu

Trois types de « produits » composent l’offre de formation de l’Université virtuelle des gouverneurs de l’Ouest : les cours, les programmes à base de crédits et les programmes à base de compétences.

  1. Les cours. Ils sont surtout de niveau collégial ou de premier cycle universitaire. Ce sont des entités autonomes qui peuvent être offertes soit en pièces détachées, soit dans le cadre d’un programme crédité, soit dans le cadre d’une formation dispensée selon l’approche par compétences. Dans le langage de la WGU, on parle de « cours concordants » (courses that match) pour désigner les cours dont le contenu concorde parfaitement avec une compétence particulière ou même un sous-domaine de compétences à développer. Certains cours dispensés par la WGU appartiennent à des formations ou programmes qui existent dans les institutions partenaires. D’autres ont été conçus pour des formations d’appoint ou sur mesure. D’autres encore peuvent être conçus spécifiquement pour couvrir un domaine ou un sous-domaine de compétences. Le catalogue dynamique, accessible à partir du site de la WGU, faisait état d’environ 500 cours disponibles dans l’offre de la WGU à l’été de 1999.
  2. >Les programmes à base de crédits. Ils correspondent aux programmes traditionnels dispensés par les universités et collèges partenaires de la WGU, qui utilisent cette dernière comme une passerelle pour offrir des éléments de leur programmation à distance. À l’été de 1999, la WGU regroupait une vingtaine d’universités et collèges qui offraient 23 programmes complets à base de crédits par son entremise.
  3. Les programmes à base de compétences. Ce sont des formations dispensées et reconnues et accréditées (certified) par la WGU. Ces programmes sont divisés en domaines et sous-domaines. Ils peuvent donner lieu aussi bien à des activités et expériences professionnelles, qu’à des travaux à réaliser, des tests à réussir, des cours conçus sur mesure pour les compétences à développer ou des cours qui existent déjà dans d’autres formations ou programmes disponibles dans les institutions partenaires. Comme nous l’avons indiqué précédemment, la façon d’acquérir la maîtrise d’une compétence importe peu. Dans un programme par compétences, il suffit de prouver qu’on détient une compétence pour en obtenir la certification par la WGU. Rappelons également que la maîtrise d’une compétence ayant été déterminée en collaboration par des universités et des praticiens experts, elle se trouve à être reconnue à sa juste valeur, aussi bien dans les marchés d’emploi que par les établissements d’enseignement. À l’été de 1999, la WGU disposait d’une dizaine de programmes complets offerts selon l’approche par compétences.

On peut consulter l’offre complète de la WGU à partir d’un catalogue dynamique et interrogeable. L’outil permet de requérir non seulement un contenu de formation en particulier, mais également le mode de diffusion que l’utilisateur souhaite privilégier. L’instrument achemine ensuite les demandeurs vers les institutions où les cours et programmes sollicités sont dispensés. Au besoin, la personne se verra dirigée vers un conseiller qui pourra l’aider à s’orienter ou à préciser ses besoins.

Valeur ajoutée pour les étudiants et les établissements d’enseignement

La liste des avantages que la WGU et son approche par compétences proposent aux personnes en quête de formation est longue et éloquente :

Mais quels sont les motifs qui incitent l’université à participer à la création de ce nouveau type d’université pour une nouvelle génération? En d’autres termes, pourquoi le modèle de la WGU fonctionne-t-il et quelle valeur ajoutée apporte-t-il aux universités?

Selon les initiateurs de la WGU, peu d’établissements d’enseignement supérieur voient la WGU comme une menace. La plupart y trouvent plutôt un instrument de développement dont ils ont un urgent besoin. Que l’on songe, par exemple, à la formation que réclament les grandes entreprises et les réseaux, à la mise à niveau des compétences technologiques ou encore à ces nouvelles carrières que fait naître l’économie du savoir. La conjoncture actuelle ne place guère les universités dans une position avantageuse pour saisir ces occasions de développement. Qui plus est, les universités sont nombreuses à reconnaître que le modèle universitaire traditionnel peut difficilement prendre en compte les besoins moins structurés de formation continue et en emploi. La WGU offre donc à ces institutions une prise en charge collective de l’organisation et de la coordination d’un mode de formation apte à satisfaire ces besoins nouveaux et différents. Bien que le changement que propose la WGU soit majeur et audacieux, son modèle n’est pas menaçant puisqu’il peut cohabiter avec le modèle traditionnel. Les universités trouvent divers motifs pour y participer :

L’Université de L’Avenir

L’Université virtuelle des gouverneurs de l’Ouest est née pour améliorer l’accessibilité à une formation supérieure à distance de qualité. Grâce à son approche par compétences, il semble permis de dire que la WGU améliore l’accessibilité à la formation et à sa qualité, non seulement en éliminant les contraintes de temps et d’espace, mais aussi en forçant la reconnaissance de tous les acquis et ce, aussi bien par les acteurs de l’enseignement supérieur que par les employeurs.

Sous un angle stratégique, la WGU innove en se servant d’abord du pouvoir politique pour prendre son envol. Elle se démarque également en se tournant vers des secteurs d’activités en pleine expansion, comme les télécommunications et les entreprises de haute technologie, afin de trouver les partenaires et les moyens nécessaires pour bâtir une infrastructure de formation à distance qui profitera ultérieurement à tous les champs d’étude. Cette alliance avec les plus fortunés, bien qu’elle serve des intérêts purement économiques, permet ainsi à la WGU de remplir sa mission sociale d’accompagnement des collectivités et des personnes dans la voie du développement et de la prospérité. La WGU se distingue encore en démontrant qu’une cohabitation harmonieuse est possible entre le modèle traditionnel d’enseignement supérieur et une université nouveau genre pour une génération nouvelle. En profitant de la poussée innovatrice qu’engendre l’avènement du cyberespace, la WGU, dans le respect de la liberté, de l’hétérogénéité et de la créativité, contribue largement à inventer l’université de l’avenir.

Rachel Chouinard est agente de recherche au Bureau de la planification de l’Université du Québec. Intéressée depuis de longues années à la question technologique et à son apport au monde de l’enseignement supérieur, elle suit de près les grandes stratégies que les universités mettent de l’avant, à travers le monde, pour effectuer leur entrée dans le prochain siècle. Courrier électronique: Rachel_Chouinard@uqss.uquebec.ca

ISSN: 0830-0445