Formation à distance, matériel pédagogique et théorie de l'éducation: la cohérence du changement

 

France Henri

VOL. 8, No. 1, 85-108

Résumé

L'article propose une réflexion sur la cohérence entre les valeurs paradigmatiques mises de l'avant par la formation à distance et la pratique que nous pouvons observer. Notre démarche met en parallèle d'une part le projet éducatif et les intentions pédagogiques d'un système de formation à distance et, d'autre part, leur actualisation dans le matériel pédagogique produit pour dispenser l'enseignement. Pour illustrer nos propos, nous utiliserons un cas, celui de la Télé-université. Nous montrerons que, malgré qu'elle se soit donné un projet éducatif innovateur, sa pratique reflète une vision académique et industrielle de l'éducation. L'analyse de son matériel pédagogique nous amènera à proposer un changement de sa pratique pdagogique afin qu'elle soit véritablement cohérente avec le projet éducatif innovateur qu'elle s'est donné.

Abstract

This article examines the congruence between the paradigmatic values of distance education and what the practice demonstrates. This is done by analyzing the educational objectives and pedagogical intent of a distance education system and the characteristics of the instructional materials the same system produced. To illustrate the discussion, the case of Téluniversité is analyzed. The results indicate that despite its innovative educational objective, its practice is guided by an an academic and industrial vision of education. The analysis of its instructional materials leads us to suggest some changes be made in its practice in order to agree with its innovative educational objectives.

Les DéFis RelevéS Par la Formation à Distance

Au cours des deux dernières décennies, la formation à distance a relevé avec succès, à l'échelle canadienne tout au moins, deux importants défis. Elle a contribué à élargir l'accès à l'éducation pour un très grand nombre d'adultes et, dans la même foulée, elle a favorisé l'introduction d'une certaine démocratisation au sein des systèmes éducatifs qui la pratiquent. Pour accroître l'accessibilité, les systèmes de formation à distance ont misé sur l'utilisation intensive des médias et des technologies de communication. Ils ont ainsi réussi à rejoindre dans leurs milieux des clientèles qui, pour des raisons diverses, étaient tenues à l'écart des services de formation. Désormais intéressée à des clientèles non traditionnelles, la formation à distance devait s'employer à créer des conditions qui leur étaient acceptables. En conséquence, la volonté de recruter des clientèles nombreuses remettait en cause une vision élitiste de l'éducation. Pour cela, les caractéristiques de ces nouveaux apprenants - des adultes engagés dans la vie active - leurs attentes, leurs besoins et leurs modes d'apprentissage ne pouvaient être ignorés. Certains préalables académiques, des règlements administratifs et des contraintes pédagogiques traditionnellement imposés par les systèmes de formation ont dû être modifiés ou adaptés pour faire de la formation à distance une formule acceptable aux adultes. L'assouplissement des conditions d'admission, l'inscription continue et l'étalement des sessions de formation sur de plus longues périodes ne sont que quelques exemples parmi plusieurs qui témoignent des mesures prises pour faire de la formation à distance une formation pour tous.

Par son approche et par ses pratiques, la formation à distance a fait évoluer les croyances et les conceptions relatives aux conditions nécessaires à l'enseignement et à l'apprentissage. Alors que selon une conception traditionnelle l'enseignement ne peut se pratiquer autrement que dans une situation « présentielle », on admet aujourd'hui qu'une formation de qualité puisse être offerte à distance et sans qu'il n'y ait d'échanges en face à face. Les médias et les technologies ne sont plus perçus uniquement comme des véhicules d'information de masse et des moyens de divertissement. On conçoit, sans a priori négatifs, qu'ils soient les matériaux de l'architecture des systèmes de formation à distance et qu'ils composent des environnements d'apprentissage efficaces. Le changement opéré sur les mentalités est, en quelque sorte, une reconnaissance que l'on peut apprendre de manière différente par les médias sans devoir évoluer dans le cadre d'un enseignement présentiel.

Indéniablement, les défis que la formation à distance a su relever représentent une contribution importante à l'éducation en général et à celle des adultes en particulier. Cela dit, il reste encore beaucoup à faire pour répondre aux demandes formulées en matière d'éducation et de formation des adultes. En effet, de très fortes pressions s'exercent sur les gouvernements et sur le monde du travail pour que soient développées des approches de formation adaptées aux exigences de notre société technologique postindustrielle.

Le contexte économique actuel, caractérisé par la mondialisation et la compétitivité des marchés, décuple l'urgence de former une main-d'oeuvre non seulement qualifiée mais également autonome et capable de se perfectionner et de se recycler par elle-même. À cause de la vitesse du changement, les connaissances deviennent rapidement périmées. Or il est économiquement et pratiquement impensable d'avoir à dispenser une formation à chaque nouveau changement. Il faut donc former des adultes capables d'apprendre par eux-mêmes. La formation qu'on leur destine doit dépasser la simple transmission de connaissances ponctuelles sur des objets donnés; elle doit plutôt miser sur des apprentissages durables, leur permettre d'apprendre à résoudre des problèmes, à communiquer, à devenir plus autonomes, à développer une meilleure connaissances de leurs processus d'apprentissage et à s'adapter aux changements (Giroux, 1992). Une telle formation donnerait l'assurance de maintenir une main-d'oeuvre qualifiée puisque celle-ci aurait appris à apprendre par elle-même.

Par ailleurs, la population étudiante est dévastée par un taux alarmant de décrochage scolaire (jusqu'à 35 % au secondaire); ces jeunes vont rejoindre les groupes non moins nombreux qui sont en chômage ou bénficient de l'aide sociale. Les systèmes éducatifs traditionnels montrent leur incapacité à proposer des démarches valorisantes de formation en vue de la réinsertion sociale de ces groupes dits marginaux (Giroux, 1992; Simon, 1992). La violence et l'insatisfaction dont ils sont la proie, le désabusement et la perte de l'estime de soi dont ils sont victimes, sont des signes de leur non-acceptation du système social sous-tendu par des valeurs d'une classe dominante. Ce sont ces mêmes valeurs qui inspirent les systèmes éducatifs et qui sont véhiculées dans la majorité des programmes de formation ou de réinsertion qui leur sont proposés (Aronovitz & Giroux, 1985). Pour inciter ces « personnes marginales » à se prendre en main et à apprendre comment réintégrer la vie active, pour les aider à trouver les moyens de s'exprimer et d'agir dans le but d'influencer le système, il faut imaginer des démarches nouvelles et des approches de formation originales basées sur le respect des personnes.

La formation à distance peut-elle contribuer à relever ce genre de défis? Peut-elle proposer des approches et des processus de formation qui peuvent tenir compte des personnes et de leurs aspirations tout en répondant aux exigences du contexte social et économique actuel? Serait-ce là le véritable défi que la formation à distance doit relever?

Le défi véritable de la formation à distance : une contribution encore à venir?

L'examen critique des réalisations de la formation à distance nous amène à nous interroger sur la nature des changements qu'elle a introduits dans l'enseignement et l'apprentissage. A-t-elle véritablement transformé le processus de formation? Malgré les conditions d'apprentissage différentes qu'elle a su créer grâce à l'utilisation des médias, la formation à distance a-t-elle conservé la même conception de l'éducation? Le défi qu'elle a su relever se résumerait-il à faire, à distance, ce que font les systèmes éducatifs traditionnels?

Dans les écrits sur la formation à distance, le discours théorique autour de la transformation du processus de formation et sur son approche pédagogique innovatrice est bien développé et soutenu. De nombreux auteurs soutiennent que les apprenantes et apprenants à distance doivent occuper une place importante dans le processus puisqu'ils sont appelés à planifier, à gérer et à contrôler le déroulement de leurs activités d'apprentissage; le processus faisant ainsi appel à leur autonomie et à leur responsabilisation face à leur apprentissage (Sewart, Keegan, & Holmberg, 1983; Henri & Kaye, 1985; Keegan, 1986; Garrison, 1989).

Mais en réalité, comment ce discours théorique est-il traduit? La conception de l'éducation qui l'inspire s'incarne-t-elle dans la pratique de la formation à distance? Retrouve-t-on dans la pédagogie à distance, telle qu'elle est pratiquée, le changement pédagogique que les écrits nous prsentent comme inhérent à la formation à distance? La formation à distance réussit-elle à relever le véritable défi d'une pédagogie orientée vers le développement d'apprenants autonomes et responsables? Vers une pédagogie réellement accessible et démocratique?

Dans cet article, nous proposons une réflexion sur la cohérence entre les valeurs paradigmatiques mises de l'avant par la formation à distance et la pratique que nous pouvons observer. Notre démarche met en parallèle d'une part le projet éducatif et les intentions pédagogiques d'un système de formation à distance et, d'autre part, leur actualisation dans le matériel pédagogique produit pour dispenser l'enseignement. Pour illustrer nos propos, nous utiliserons un cas, celui de la Télé-université, un établissement d'enseignement supérieur qui pratique la formation à distance depuis 20 ans, dont la qualité des enseignements est reconnue et la crédibilité bien établie.1 Nous montrerons que, bien qu'elle se soit donné un projet éducatif innovateur, sa pratique reflète une vision académique et industrielle de l'éducation. L'analyse de son matériel pédagogique nous amènera à proposer un changement de sa pratique pédagogique afin qu'elle soit véritablement cohérente avec le projet éducatif innovateur qu'elle s'est donné.

Le matériel pédagogique: signe manifeste de l'orientation pédagogique

Le matériel pédagogique occupe une place centrale dans la formation à distance; il est porteur à la fois du processus formation et de son contenu. C'est par lui que se joue la médiation entre celles et ceux qui apprennent et les connaissances à apprendre. C'est par lui qu'on pallie l'éloignement, l'absence de contacts présentiels et les interactions réduites dans l'enseignement et dans l'apprentissage. Une étude bien connue de Bååth (1979) s'intéresse aux conceptions de l'éducation et à l'empreinte qu'elles laissent sur la facture du matériel pédagogique et sur l'utilisation des dispositifs de communication. Son analyse montre comment chaque courant éducatif commande un matériel pédagogique spécifique et une façon particulière de communiquer dans une perspective d'apprentissage.

L'hypothèse de Bååth est fréquemment corroborée dans les écrits sur la formation à distance où de nombreux auteurs présentent l'étroite relation entre le matériel pédagogique et les choix éducatifs fondamentaux. Pour Holmberg (1981) par exemple, le matériel pédagogique doit adopter la forme d'une conversation didactique guidée en vertu d'une conception de l'apprentissage qui s'appuie sur le dialogue socratique. Garrison et Shale (1990), pour qui l'éducation est essentiellement une transaction entre les apprenants et les enseignants, réclament de leur côté la fin de l'approche industrielle de production de masse du matériel pédagogique et son rempla-cement par la mise en place de dispositifs de classes virtuelles où l'importance du matériel pédagogique est grandement réduite.

Le matériel pédagogique, jumelé à l'infrastructure de communication qui encadre son utilisation, est révélateur de la conception de l'éducation. Il recèle de très nombreux indices qui renseignent sur la nature véritable de l'innovation que propose un système de formation à distance.

L'analyse du matériel pédagogique fournit des données essentielles pour identifier la conception de l'éducation et le courant éducatif auquel se rattache un système de formation à distance. Une telle analyse a plusieurs utilités. Premièrement, elle sert à vérifier dans quelle mesure la pratique pédagogique d'un système de formation à distance correspond à son projet éducatif : un exercice de cohérence nécessaire auquel tout système doit se confronter. Deuxièmement, elle permet une connaissance plus juste de la réalité : un exercice d'objectivation à partir duquel tout changement doit prendre appui. En outre, l'analyse que nous ferons veut rappeler que toute pratique est inextricablement liée à une théorie - qu'elle soit implicite ou explicite, consciente ou inconsciente - et que, pour éviter le développement improvisé d'une pratique, il est utile de la situer dans une perspective théorique. Ce faisant, la théorie devient le moteur d'un changement voulu et planifié.

Le Cadre D'Analyse

L'analyse que nous proposons vise à établir le degré de cohérence entre trois éléments : le projet éducatif d'un système de formation à distance, le matériel pédagogique qu'il produit et la conception de l'éducation qui guide sa pratique. Ensemble, ils composent notre cadre d'analyse et nous les décrivons de la manière suivante.

Le Projet éDucatif

Le projet éducatif propose un but et des objectifs à atteindre. Il est issu de la mission que se donne un système de formation, laquelle est fondée sur un système de valeurs et s'inspire d'une conception de l'éducation spécifique.

Le MatéRiel PéDagogique

Le matériel pédagogique comprend tout document mis à la disposition des apprenantes et apprenants pour atteindre les objectifs de la formation. Dans le cas de la formation à distance, le matériel pédagogique peut difficilement être appréhendé sans traiter des moyens utilisés pour en faire la diffusion.

Les Grandes Tendances de L'éDucation

Les projets éducatifs prennent leurs racines dans des théories de l'édu-cation qui peuvent être associées à l'une ou l'autre des grandes tendances contemporaines de l'éducation. Bertrand (1992) propose une classification des théories contemporaines de l'éducation qui aide à mettre en lumière les caractéristiques d'un projet éducatif par l'analyse de son matériel pédagogique. Il choisit quatre groupes d'éléments pour classifier les théories du changement en éducation : le sujet (la personne), la société (les autres, le monde, l'univers), le contenu à enseigner (matières, disciplines, connaissances) et finalement, les interactions entre ces trois pôles. C'est à partir de la triade personne, objet et société ainsi que la fonction interaction, que Bertrand regroupe les grandes tendances de l'évolution des théories de l'éducation : académiques, spiritualistes, sociales et interactionnelles. Cette dernière tendance regroupe des théories psychocognitives, technologiques et sociocognitives.

Parmi les quatre tendances identifiées par Bertrand, la plus répandue est sans contredit celle qui regroupe les théories académiques. La tendance académique se fonde sur une conception de l'éducation qui traverse les époques et qui s'adapte au fil de l'évolution et des besoins des sociétés.

Les théories académiques sont centrées sur le contenu. Les stratégies pédagogiques de cette tendance sont rationalistes et didactiques. Elles misent sur l'exposition des connaissances par les maîtres. Le rôle de l'enseignante ou enseignant consiste à transmettre le contenu tandis que l'étudiante ou étudiant doit l'assimiler.

Si les théories académiques occupent dans les faits une très grande partie de l'univers éducationnel, qu'en est-il des autres théories? Elles demeurent marginales et sont souvent le lot d'écoles « alternatives », soit privées soit publiques. Le fait que ces théories ne sont presque pas appliquées dans la réalité ne veut pas dire qu'on n'en parle pas. Au contraire. Elles inspirent le discours de nombreuses personnes oeuvrant en éducation, en recherche, en politique, et de parents. Elles sont également enseignées dans des programmes d'études en sciences de l'éducation. Une proportion importante des écrits appartenant au domaine de l'éducation et publiés ces dernières années est alimentée par les théories interactionnelles à la mode. Les découvertes de la neuropsychologie, les progrès de la psychologie cognitive et le développement des nouvelles technologies ne sont pas étrangers au phénomène.

Avantageusement récupérées par un système de valeurs qui propose une conception de l'éducation éloignée de la tendance académique, les théories interactionnelles considèrent que le but de l'éducation n'est pas l'assimilation des connaissances en soi mais plutôt le fait d'apprendre à les utiliser. Elles s'intéressent essentiellement aux interactions entre un sujet, la société et le contenu. L'apprentissage repose sur un processus par lequel l'apprenante ou apprenant recueille l'information et se l'approprie pour lui donner un sens. Parmi les théories interactionnelles, l'approche socio-cognitive est actuellement très en vogue. Elle est particulièrement dynamique au Canada et aux États-unis et elle marquera la fin du 20e siècle (Bertrand, 1992).

Dans notre analyse, nous poserons comme référents uniquement les théories académiques et interactionnelles parce qu'elles polarisent les valeurs et les conceptions de l'éducation qui prévalent dans la problématique actuelle de l'éducation. Elles présentent des caractéristiques diamétralement opposées par la définition qu'elles donnent des connaissances, par les stratégies pédagogiques qu'elles proposent et par les rôles qu'elles réservent à celles et ceux qui enseignent et qui étudient. La tendance académique est le symbole de la tradition et de l'ordre établi alors que la tendance interactionnelle, et plus spécifiquement les théories psychocognitives, sont porteuses de changement. Nous privilégions ces dernières comme le référent idéal pour deux raisons. Premièrement parce qu'elles semblent pouvoir répondre aux défis que pose la société actuelle, et que nous avons énoncés plus haut. Deuxièmement, parce qu'elles sont en émergence actuellement en formation à distance. Elles se manifestent surtout dans les modèles de troisième génération de la formation à distance qui gravitent et misent sur la communication interactive rendue possible par les nouvelles technologies et sur l'apprentissage comme processus social (Nipper, 1989; Harasim, 1990). En effet, par le recours aux technologies interactives, les modèles de formation à distance de troisième génération créent des situations éducatives telles que l'apprentissage n'est plus le fait de l'assimilation passive des connaissances. Le processus d'apprentissage peut mettre à profit la participation active et les échanges entre les apprenantes et apprenants dans le but de contextualiser les connaissances et ainsi favoriser l'émergence de leur signification et de leur pertinence sociale.

La classification de Bertrand nous permettra d'identifier au cours de l'analyse l'affiliation ou l'appartenance du matériel pédagogique à l'un ou l'autre des deux courants éducatifs. Il sera alors possible de déterminer quels enjeux éducatifs se jouent par lui, de vérifier sa cohérence avec le projet éducatif et de justifier le changement s'il y a lieu.

L'Analyse

Nous proposons une approche macroscopique pour analyser le matériel pédagogique d'un système de formation à distance.2 Nous n'entendons pas adopter une approche microscopique qui commanderait une analyse fine et détaillée du contenu de chaque document sans pour autant fournir des données plus utiles pour éclairer le problème posé, à savoir la cohérence entre le projet éducatif et la pratique pédagogique d'un système de formation à distance. Plutôt, nous aborderons l'analyse du matériel pédagogique du point de vue de son mode de production, des fonctions qu'il remplit dans le processus de formation et de son mode de diffusion. Il s'agira donc de déterminer quelle conception théorique de l'éducation sous-tend la production et l'utilisation du matériel pédagogique dans un système de formation à distance.

Les dimensions de notre analyse sont spécifiques à la formation à distance; elles se rapportent aux trois grandes questions que se pose tout système de formation à distance.

Rappelons que la démarche n'est pas entreprise dans le but de juger de la pertinence et des choix du projet éducatif d'un système de formation à distance en particulier. Elle cherche plutôt

Le projet éducatif de la Télé-université : une vision industrielle et académique de l'éducation

Le Projet éDucatif de la TéLé-Université

La Télé-université est un établissement entièrement dédié à la formation à distance; sa mission, telle qu'elle est décrite dans les documents officiels, est d'accroître l'accessibilité de la population active québécoise à l'enseignement supérieur. Pour réaliser son projet éducatif, la Télé-université s'emploie à offrir à des adultes, par le mode de l'enseignement à distance, des activités et des programmes de formation universitaire. Pour atteindre l'objectif de démocratisation qu'elle s'est fixée, elle met en place des moyens pour vaincre l'éloignement et pour rejoindre sa clientèle dans son milieu immédiat. Ces moyens doivent, dans le mesure du possible, n'imposer aucune contrainte spatio-temporelle.

Parmi les différents modèles de formation universitaire à distance, la Télé-université opte pour celui de télé-enseignement par autodidaxie assistée. Cette approche, décrite dans son Plan triennal 1982–1985, invite l'adulte à apprendre de manière autonome, à son domicile ou à son lieu de travail, et à son rythme. De plus, elle lui offre l'appui et l'assistance d'une tutrice ou d'un tuteur, prévoit sa participation à la planification, à la gestion et à l'évaluation de ses apprentissages (Télé-université, 1982, p. 4). Deux paramètres fondamentaux encadrent cette orientation pédagogique : la crédibilité de l'enseignement universitaire qu'elle dispense et la stabilité financière (Télé-université, 1985, p. 14).

Les idées maîtresses du projet éducatif de la Télé-université, traduites dans ses plans triennaux, se résument ainsi : l'accessibilité, et son corollaire la démocratisation, l'autonomie de l'adulte dans le cadre d'apprentissages individuels qu'il peut planifier, gérer et évaluer, et la crédibilité des enseignements. À ceci s'ajoute un objectif de stabilité financière pour la réalisation de ce projet.

Le Mode de Production du MatéRiel PéDagogique

La Télé-université a mis en place une importante infrastructure humaine et technologique pour produire le matériel pédagogique utilisé dans le cadre de ses cours. Elle adopte un procédé industriel de production basé sur la spécialisation des tâches. Cette approche industrielle entraîne un processus de production auquel participent plusieurs personnes. Pour chaque cours, la production du matériel est placée sous l'autorité d'une ou d'un professeur réputé savant dans la discipline ou le domaine à enseigner. Des spécialistes de contenu, de la pédagogie, des médias et de la diffusion sont regroupés par la ou le professeur pour collaborer au travail de conception et de production. Chaque membre de l'équipe intervient à des moments précis du processus.

La PréParation du Contenu à Enseigner

Le contenu à enseigner est élaboré par la ou le professeur responsable du cours, avec l'assistance de spécialistes de contenu. Ces spécialistes sont, dans la très grande majorité des cas, recrutés de manière temporaire à l'extérieur de la Télé-université. Ils enseignent le plus souvent dans d'autres universités et, pour la durée de leur contrat à la Télé-université, ils travaillent au développement, à la structuration et à l'organisation des connaissances sous l'autorité professorale. Il arrive à l'occasion que le contenu du cours soit totalement développé par la ou le professeur; lorsqu'il possède une expertise suffisante du contenu et que sa charge de travail le lui permet.

Dans une première étape, le contenu à enseigner se présente sous la forme d'un manuscrit qui rassemble les connaissances à apprendre. Une fois le manuscrit du cours préparé et avant de passer à l'étape de l'édition, il est soumis à une procédure d'évaluation pour en vérifier la scientificité, la validité, l'actualité et la pertinence. Un comité de lecture évalue le manuscrit. Il est composé de membres du personnel académique de la Télé-université, et dans presque tous les cas, d'au moins une autre personne recrutée à l'externe et reconnue pour sa compétence dans le domaine du cours. À la suite des rapports des membres du comité de lecture, des modifications peuvent être apportées. Dans tous les cas, l'approbation finale du manuscrit sera soumise à l'ensemble des professeurs qui oeuvrent au sein du programme d'études auquel le cours est rattaché.

Une fois le manuscrit approuvé, il sera édité sous la forme d'un ouvrage de référence. Plusieurs de ces ouvrages feront l'objet d'une édition dont la facture répond à des standards élevés en vue de leur commercialisation en dehors du cadre des cours.

L'éLaboration de la StratéGie PéDagogique

C'est l'équipe de conception formée d'une ou un professeur et de spécialistes du contenu qui, implicitement ou explicitement, dicte la stratgie pédagogique. En effet, par le choix des connaissances, par le mode de présentation utilisé, l'équipe de conception aura jeté les bases de la stratégie. Bien que chaque cours ait ses particularités, la stratégie pédagogique généralement employée à la Télé-université se résume à l'exposition des connaissances que la lecture guidée de l'ouvrage de référence permettra d'assimiler.

Pour mettre en oeuvre et opérationaliser la stratégie, la ou le professeur fait appel à une ou un spécialiste de la pédagogie pour concevoir des activités d'apprentissage et pour préciser les modalités d'évaluation qui vérifieront si le contenu a été assimilé. Les activités font appel à la mémorisation, à un certain niveau de compréhension et à d'application. Elles prennent la forme de rappels et de repérage des connaissances, d'analyse de texte, de résumés, de synthèses, d'études des cas, et ainsi de suite. Les activités sont rassemblées dans un cahier d'apprentissage, un document distinct du manuel de référence.

Le cahier d'apprentissage n'est généralement pas soumis à la même procédure d'évaluation que le manuel de référence. Une procédure plus légère est souvent appliquée, faisant appel à des avis internes.

Au cahier d'apprentissage s'ajoute un autre document, le guide de l'étudiant. La ou le professeur y consigne toutes les directives administratives et de gestion pédagogique à prendre en compte. On y retrouve les objectifs du cours, un calendrier des travaux, une feuille de route, les règlements relatifs à l'évaluation, et ainsi de suite.

Le Choix Des MéDias

Une très grande partie du matériel pédagogique de la Télé-université se présente sur support imprimé. C'est un choix que l'établissement a confirmé en développant une unité de production écrite imposante et très spécialisée. Les ressources humaines et financières consacrées à la production des imprimés représentent à peu près 60 % à 70 % du budget de production. Une équipe hautement spécialisée travaille au traitement pédagogique des documents imprimés. La réputation d'excellence de la Téluniversité dans ce domaine n'est plus à faire. L'importance qu'elle accorde à l'imprimé se justifie par le fait que c'est un média accessible et économique, qu'il respecte le rythme individuel d'apprentissage, qu'il pose peu ou pas de contraintes de diffusion.

Peu de professeurs choisissent d'autres médias comme support principal du contenu et ce, pour plusieurs raisons.3 Il est plus facile pour une ou un professeur de concevoir un document imprimé qu'un document audiovisuel ou informatique. Ceci, parce que l'imprimé correspond à notre culture livresque. À cela s'ajoute le fait que dans le milieu universitaire la crédibilité du discours savant passe par l'imprimé, qu'il projette une image recherchée et qu'il amène la notoriété. En outre à la Télé-université, l'importance des ressources affectées à l'édition des documents écrits est une invitation naturelle à choisir ce média.

Néanmoins, il ne serait pas juste de dire que les professeurs de la Téluniversité ne peuvent choisir d'autres médias que l'imprimé. Il leur est possible d'opter pour des documents audiovisuels (surtout la vidéo) ou informatiques. On note que dans de nombreux cours qui prévoient des émissions télévisées, leur visionnement est facultatif. Quant aux documents informatiques, ils sont surtout utilisés dans les cours d'informatique comme objet d'apprentissage et non comme support de contenu ou moyen d'apprentissage.

La Production du MatéRiel

La réalisation du matériel, bien qu'elle soit confiée à des spécialistes de la production écrite, audiovisuelle et informatique, commande la participation de la ou du professeur, qui suit le déroulement des opérations et qui finalement, donne son approbation aux documents.

Le Mode de Diffusion du MatéRiel PéDagogique

Une fois le matériel d'un cours conçu et produit, une importante machine se met en branle pour le diffuser auprès des étudiantes et étudiants inscrits aux différents programmes d'études. Il est à noter que le système permet l'inscription continue aux cours. L'infrastructure de diffusion comprend deux volets principaux : l'expédition, qui donne un accès facile au matériel, et l'organisation de l'encadrement par les tuteurs et les tutrices, qui offrent le soutien à l'apprentissage, au besoin.

L'ExpéDition

Un service de distribution se charge de l'expédition du matériel imprimé, des disquettes, des cassettes sonores et des vidéos. Des services de messagerie sont retenus pour faire la livraison à domicile du matériel de cours. De plus, les émissions télévisées sont mises en ondes sur la chaîne de télé- enseignement, qui couvre la majeure partie du territoire québécois (CANAL); de nombreuses reprises à différents moments du jour ou de la nuit sont inscrites à la programmation.

L'Organisation de L'Encadrement

Chaque personne inscrite à un cours peut se prévaloir de l'assistance d'une tutrice ou d'un tuteur. Leur rôle est d'offrir un soutien individuel à l'apprentissage, de répondre aux demandes qui leur parviennent, de corriger et de noter les travaux. Généralement, il leur est demandé de communiquer trois fois avec l'étudiante ou l'étudiant pendant un cours et, lorsque la stratégie du cours le prévoit, d'animer les conférences téléphoniques.

Même si un tuteur ou une tutrice se voit confier l'encadrement d'un groupe, cette entité n'a pas d'existence en soi; le groupe n'est, à toutes fins utiles, qu'un outil administratif. On procède au regroupement des étudiants sur papier seulement, ce qui permet de rationaliser l'emploi des tutrices et des tuteurs en leur confiant la responsabilité d'encadrer un certain nombre de personnes à la fois; on évite ainsi les affectations à la pièce.

Ce n'est pas une ou un professeur qui supervise leur travail. Une ou un spécialiste de l'encadrement, qui a le statut de professionnel, a la responsabilité de les recruter, de les former et de faire le suivi de leur travail (correction de travaux, acheminement des bordereaux de notes, etc.). La ou le spécialiste à l'encadrement est l'intermédiaire entre les professeurs et les tutrices et tuteurs. Cet intermédiaire renvoie cependant aux professeurs les questions pédagogiques qui ne sont pas de sa responsabilité. Ainsi, deux intermédiaires s'insèrent dans la chaîne de communication entre les étudiants et les professeurs : les tuteurs et tutrices, et les spécialistes à l'encadrement.

Le tableau 3 présente de manière schématique le morcellement de la fonction « enseignement » entre ces différentes personnes et montre la fragmentation des opérations de production et de diffusion du matériel pédagogique à la Télé-université.

Un matériel pédagogique autosuffisant, une démarche pédagogique centrée sur le contenu

Dans le système télé-universitaire, le matériel pédagogique doit être autosuffisant. C'est-à-dire qu'il doit contenir toutes les connaissances, toutes les consignes et toutes les informations nécessaires pour favoriser un apprentissage autonome et individuel, soit à domicile, soit dans le milieu de travail. La lecture du matériel imprimé, l'écoute des documents audiovisuels et la manipulation des supports informatiques doivent permettre d'atteindre les objectifs visés par le cours et ne nécessiter aucune autre forme d'intervention. L'étudiante ou l'étudiant pourra néanmoins se prévaloir d'une assistance complémentaire auprès d'une tutrice ou d'un tuteur. Il arrive que des rencontres téléphoniques (audioconférences) fassent partie du cours; mais en aucun moment la participation à ce genre d'activité ne peut être obligatoire.

Le matériel pédagogique remplit essentiellement les quatre grandes fonctions suivantes :

Que peut-on dire du matériel pédagogique de la Télé-université en rapport avec son projet éducatif?

Accessibilité et DéMocratisation : Une RéUssite à Envier

L'élargissement de l'accès aux études universitaires pour les adultes, premier devoir que la Télé- université s'est donné, s'impose comme motif conducteur dans ses décisions se rapportant au matériel pédagogique. L'engagement qu'elle a pris de rendre la formation accessible, elle y souscrit en développant un matériel autosuffisant afin que, de son domicile, tout adulte qui le souhaite, puisse poursuivre une formation par lui-même. La stratégie d'apprentissage qu'elle privilégie respecte le rythme individuel des adultes assujettis aux conditions de la vie active. Elle mise sur leur autonomie en leur proposant un cheminement qu'ils réalisent seuls et qui ne pose de contraintes ni de temps ni d'espace. En s'employant ainsi à rejoindre un plus grand nombre possible de personnes, elle tend à atteindre son objectif de démocratisation de l'éducation. Au chapitre de l'accessibilité et de la démocratisation, on peut dire, sans risque de se tromper, que la Télé-université respecte et remplit de façon très satisfaisante sa mission.

Crédibilité des enseignements : un objectif lourd de conséquences pédagogiques

Fortement préoccupée par la crédibilité des enseignements qu'elle offre, la Télé-université en fait le leitmotiv de sa pratique pédagogique. Pour bâtir cette crédibilité, elle a choisi de miser sur l'aspect le plus visible, en même temps que le plus vulnérable de la formation à distance, le contenu de ses cours et de son matériel pédagogique. C'est pourquoi elle canalise une partie importante de ses énergies à concevoir un matériel pédagogique qui doit s'imposer par la qualité scientifique des connaissances qu'il véhicule et par leur actualité. La Télé-université aurait pu choisir de relever le défi de la crédibilité en misant sur d'autres facteurs : sur le nombre de celles et ceux qui obtiennent un diplôme; sur la notoriété des réalisations de ses étudiantes et étudiants une fois sur le marché du travail; ou encore, sur la satisfaction exprimée par les employeurs qui les embauchent. Elle en a décidé autrement. Ce choix est lourd de conséquences : il infléchit sa conception de l'éducation et il balise l'organisation de sa stratégie pédagogique.

En décidant de soumettre au jugement de la communauté scientifique universitaire son matériel, la Télé-université montre qu'elle accorde une importance prépondérante aux connaissances qui seront enseignées plutôt qu'à la manière dont elles seront apprises. En optant pour une formation centrée sur le contenu, elle se rattache indéniablement au courant académique qui conçoit les connaissances comme des objets qui peuvent être évalués et validés par des spécialistes sans que le contexte dans lequel elles seront enseignées ne soit nécessairement pris compte. Une telle conception implique que les enseignants sont détenteurs du savoir; elle cristallise leur rôle de transmetteurs des connaissances.

Parce que la Télé-université a choisi de fonder sa crédibilité sur le contenu de ses enseignements, des procédures d'évaluation du matériel pédagogique extrêmement rigoureuses ont été progressivement appliquées. Sur le plan organisationnel, cette approche introduit du temps dans le système. Il faut consacrer de 12 à 18 mois pour développer un cours de 3 crédits équivalant à 45 heures d'enseignement traditionnel. Cet investissement de départ n'invite pas par la suite à mettre « encore du temps » pour modifier, transformer ou reconcevoir un contenu de cours. Il exclut également la possibilité de prendre du temps pour adapter un contenu aux besoins spécifiques des divers groupes d'adultes qui s'inscriront au cours. Le temps consacré à développer les connaissances dépossède l'enseignement des qualités de souplesse et d'adaptabilité.

En outre, dans la pratique, on constate qu'en plus d'introduire du temps dans le système, un enseignement centré sur les connaissances à transmettre installe une plus grande distance entre les étudiantes et étudiants et les professeurs, qui, occupés à développer le contenu, ne peuvent se permettre de donner du temps à celles et ceux qui apprennent. C'est ainsi que les cours, après leur conception, sont pris en charge par l'infrastructure de diffusion et doivent pouvoir être offerts sans que l'intervention des professeurs ne soit nécessaire. Un bon cours, pour l'établissement, c'est un cours auquel des personnes s'inscrivent, sans que de nouvelles énergies n'y soient investies, jusqu'au jour où son contenu devient obsolète.

Les professeurs ainsi tenus loin des étudiants, ne peuvent opter pour des stratégies pédagogiques qui reposent sur l'interaction, sur le travail de groupe ou sur toute autre approche centrée sur la communication directe. Les tutrices et les tuteurs limitent leurs interventions à l'offre d'un soutien à l'apprentissage; il n'est pas de leur responsabilité de dispenser des enseignements; rappelons qu'ils ne sont pas des chargés d'enseignement. Leur rôle est d'accompagner les étudiantes et étudiants, non pas de suppléer les interventions d'une ou d'un professeur tenu à distance. Cette situation explique en partie pourquoi les professeurs n'ont pas recours à des stratégies pédagogiques interactives où le contenu s'élabore à partir des échanges entre les étudiantes et étudiants, individuellement ou en groupe. C'est la crédibilité du contenu de la formation qui est ici en jeu et que la Téluniversité n'est pas prête à sacrifier.

Pourtant, dans ses textes, la Télé-université met de l'avant une conception de l'éducation qui s'apparente au courant interactionnel et qui invite l'adulte à s'engager activement dans son processus de formation. Elle entend offrir une formation où il planifie sa démarche, gère ses apprentissages et participe à son évaluation. Comment peut-elle arriver à actualiser cette vision si sa stratégie pédagogique est centrée sur les connaissances à assimiler plutôt que sur le processus de planification, de gestion et d'évaluation des apprentissages? Comment participer activement au processus de formation si on propose une stratégie qui limite les interactions; une stratégie où l'apprentissage demeure une démarche strictement individuelle pour assimiler des connaissances?

Dans ses efforts légitimes à tous égards pour établir la crédibilité de ses enseignements, la Télé- université a adopté, dans la pratique, une orientation pédagogique qui ne correspond pas à celle qu'elle avait proposée dans le Plan triennal 1982–1985 et qui devait prendre en compte

– la psychopédagogie des adultes, qui s'interroge sur l'environnement et le processus d'apprentissage

– la technologie éducative de l'éducation, qui explore la variété des modèles et des supports pédagogiques, ainsi que les conditions d'efficacité de l'enseignement et de l'apprentissage

– la didactique, qui s'intéresse à l'émergence de nouvelles problématiques, à l'aménagement des champs de connaissances à des fins d'enseignement ainsi qu'à leur transformation en champs d'apprentissage.

(Télé-université, 1982, p. 5-6)

Stabilité éConomique : à Quel Prix?

La dimension économique de la formation préoccupe la Télé-université. Au cours des dernières années, elle a pris les moyens pour assurer sa stabilité, tel que le demandait son Plan triennal 1985- 1988 (Téluniversité, 1985). Avec un peu de recul, il est opportun de se poser les questions suivantes.

Quels sont les effets sur la pratique pédagogique de la Télé-université des moyens pris pour assurer la stabilité économique? Laquelle de ces deux dimensions a préséance sur l'autre?

Chose certaine, les données dégagées par l'analyse du matériel pédagogique ne présentent pas de caractéristiques incompatibles avec sa stabilité économique. Le choix de développer un matériel autosuffisant limite le besoin d'assistance et réduit les coûts de gestion qu'entraîneraient l'augmentation des communications avec les étudiantes et étudiants et les interactions de groupe. La stratégie pédagogique qui mise essentiellement sur l'autonomie de l'adulte et sur sa capacité d'apprendre seul ne nécessite des tuteurs qu'un rôle de dépannage en cas de problème, un rôle certainement plus léger et moins coûteux que celui qui les rendrait responsables des apprentissages.

En somme, tout volume important des communications risque de faire augmenter les coûts. Serait- ce en écartant les stratégies pédagogiques qui valorisent les interactions et en limitant les interventions liées au soutien à l'apprentissage que la Télé-université paye le prix de sa stabilité économique?

Des Objectifs Difficilement Conciliables

Bien que dans les textes qui résument son projet éducatif l'on veuille faire place à la participation active de l'adulte à son processus de formation, la Télé-université adopte une pratique qui accorde peu d'importance à la communication et qui écarte le recours aux interactions comme moyens pédagogiques. Pour des raisons économiques, où la gestion des communications avec les étudiantes et étudiants est jugée coûteuse, pour des raisons idéologiques, où la notion d'accessibilité ne peut obliger les adultes à se déplacer ou à se mobiliser à des heures précises, et finalement, pour des raisons stratégiques, où la crédibilité de la formation s'obtient en valorisant la transmission des connaissances plutôt que le processus de leur acquisition, la Télé-université valorise une pédagogie transmissive.

Dans sa pratique, la Télé-université ne laisse donc pas à l'adulte la place qu'elle lui accordait dans l'énoncé de son projet éducatif. Parce qu'une stratégie pédagogique centrée sur l'étudiante et l'étudiant paraît incompatible avec les trois autres éléments du mandat qu'elle s'est donné : accessibilité, crédibilité et stabilité économique. Comment élargir l'accessibilité, établir sa crédibilité et atteindre la stabilité économique tout en adhérant à une conception de l'éducation qui laisse l'adulte jouer un rôle important et actif dans le processus de formation? Y a-t-il une réelle incompatibilité entre ces quatre éléments?

Au fond, la question est de savoir si la pédagogie transmissive, l'absence d'interactions de groupe et le faible volume des communications avec les étudiantes et étudiants sont des effets secondaires de ses efforts pour élargir l'accessibilité, pour établir sa crédibilité et rechercher la stabilité financière. Ou bien si c'est le reflet du choix délibéré d'appliquer une conception de l'éducation où les interactions de groupe sont considérées fondamentalement comme accessoires dans l'apprentissage. La Télé-université n'est pas le seul établissement à qui on peut poser cette question; en effet, nous pouvons observer, dans la pratique de la formation à distance, une surenchère de la responsabilité académique au détriment de la responsabilité pédagogique. Cette situation conduit à un enseignement transmissif, favorise l'apprentissage individuel et accorde peu d'attention aux processus d'apprentissage interactif avec les bénéfices qui y sont associés.

Les nouveaux moyens de communication : une voie pour affirmer et actualiser un projet éducatif innovateur

Nous avons évoqué en introduction les aspects innovateurs de la formation à distance en tentant de distinguer l'innovation instrumentale, qui se résume à faire à distance ce que les systèmes traditionnels accomplissent en face à face, et l'innovation fondamentale, qui vise à transformer le processus d'apprentissage. Si nous nous en tenons à une innovation de surface, elle se résumera à l'utilisation de médias non interactifs, à la production de matériel pédagogique transmissif et à l'adoption d'une stratégie de formation centrée sur les connaissances à apprendre. Si par contre nous recherchons un changement en profondeur, un projet éducatif innovateur s'inspirera d'une conception de l'éducation centrée sur l'étudiante et l'étudiant. Dans ce cas, le matériel pédagogique devra être conçu comme une ressource à utiliser pour planifier et pour gérer ses apprentissages, et pour travailler à la construction des connaissances. Dans une telle stratégie, l'exploitation du matériel pédagogique par des groupes ne pourra être écartée. On aura recours à des technologies interactives pour faciliter les échanges et favoriser l'appropriation dynamique des connaissances.

La philosophie et le but avoué de la formation à distance est d'offrir aux adultes une formation socialement pertinente et de créer de nouvelles situations d'apprentissage afin de surmonter la distance géographique, de réduire les barrières sociales et physiques qui empêchent les clientèles non traditionnelles d'accéder à l'éducation. Ces nouvelles situations d'apprentissage, contrairement aux situations traditionnelles, entendent réserver un rôle plus important aux étudiantes et étudiants afin qu'elles ou ils puissent déterminer le sens, l'utilité et la pertinence sociale de leur formation. De quels moyens disposons- nous pour affirmer et développer un tel projet éducatif? Des éléments de réponse sont actuellement envisagés par plusieurs établissements de formation à distance, dont la Télé-université. Des expériences d'utilisations pédagogiques de la télématique, par la messagerie vocale, la messagerie électronique et la audioconférence par ordinateur, présentent des résultats forts prometteurs (Mason & Kaye, 1989; Garrison, 1989; Harasim, 1990; Henri, 1991). Ces nouvelles technologies de communication permettent d'établir des liens interactifs continus avec les étudiantes et étudiants, de mener des échanges en profondeur sur les objets d'apprentissage et de contextualiser les connaissances. Il est désormais possible, grâce à ces technologies, de miser sur des stratégies pédagogiques qui exploitent le groupe et les interactions de groupe pour favoriser des apprentissages significatifs.

Toutefois, ces nouveaux moyens de communication ne pourront être efficacement implantés et développés dans les systèmes de formation à distance qui adoptent une vision académique et industrielle de l'éducation, qu'à la condition qu'ils transforment leurs pratiques en valorisant les communications interactives et de groupe. Pour y arriver, il leur faudra rendre accessible aux professeurs qui le désirent une infrastructure qui supporte l'échange et le rapprochement entre les étudiantes et les étudiants, les tutrices et les tuteurs et les spécialistes à l'encadrement. De plus, il faudra modifier profondément le rôle et la facture du matériel pédagogique et, par conséquent, redéfinir le rôle et la responsabilité de la partie enseignante. La possibilité d'entretenir une communication continue avec les étudiantes et étudiants rendra périmée la notion d'un matériel pédagogique lourd, autosuffisant qui supplée l'absence de contacts interactifs et assidus.

C'est donc une question fondamentale qui se pose actuellement à plusieurs établissements de formation à distance. Voudront-ils vraiment donner un nouvel essor à leur projet éducatif et un second souffle à leur pédagogie? Voudront-ils revoir leur vision de la formation, l'axer sur la problématique actuelle de la formation des adultes, mettre tout en oeuvre pour accroître sa pertinence sociale et pour faire en sorte que celles et ceux qu'ils forment en tirent des apprentissages significatifs et utiles. Les établissements de formation à distance sont-ils prêts à relever le défi d'introduire une innovation profonde de leur système en transformant leurs pratiques d'enseignement et le mode de production de leur matériel pédagogique? Sont-ils prêts à pratiquer la cohérence entre les valeurs paradigmatiques de la formation à distance et leurs orientations pédagogiques?

Notes

l. On peut dire de la Télé-université qu'elle est un modèle typique des universités autonomes de formation à distance. Ses orientations déclarées et ses pratiques ressemblent à celles de plusieurs autres établissements universitaires qui oeuvrent exclusivement à distance (Rumble & Harry, 1982). L'analyse faite ici vaut donc également pour d'autres établissements dont on peut dire qu'ils lui ressemblent.

2. Puisque nous traiterons du cas de la Télé-université, nous tenons à formuler la réserve suivante : l'analyse portera sur le modèle de cours typique à la Télé-université. Néanmoins, nous reconnaissons qu'il existe des cours qui adoptent des modèles différents mais ces derniers ne sont pas légion.

3. Parmi la centaine de cours offerts par la Télé-université, 25 utilisent la télévision. Le recours aux documents informatiques et à la télématique est essentiellement limité aux cours d'informatique.

References

Aronovitz, S., & Giroux, H. (1985). Education under siege: The conservative, the liberal, and the radical debate over schooling. South Hadley, MA: Bergin & Garvey.

Bååth, J. A. (1979). Correspondence education in the light of a number of contemporary teaching models. Malmo: LiberHermods.

Bertrand, Y. (1992). Théories contemporaines de l'éducation (2e éd.). Montréal: Éditions Agence d'Arc.

Garrison, D. R. (1989). Understanding distance education. A framework for the future. New York: Routledge.

France Henri, ancien membre du Comité de direction de l’ACED, est spécialiste en technologie de l’ education. Elle est rattachée à la Télé-université de l’Université du Québec depuis 1981. Elle est accréditée comme chercheure au Laboratoire de recherché en informatique cognitive et environments de formation.