Éditorial
Innovant, osant, collaborant: Nous célébrons l'histoire de l'ACED et de l'éducation à distance

Kathleen (Kay) Rogers

VOL. 8, No. 1, 8-14

Introduction

Le 15 juin 1993 marque le dixième anniversaire du jour où des éducateurs canadiens et des éducatrices canadiennes, venant de tous les coins du pays, se sont réunis par audioconférence pour fonder l'Association canadienne pour l'éducation à distance, the Canadian Association for Distance Education, l'ACED/CADE. L'idée d'organiser cette séance inaugurale d'une association professionnelle par téléphone peut paraître d'un côté assez peu orthodoxe, et d'un autre côté, purement canadien, venant d'un pays qui est fier d'Alexander Graham Bell. Le fait que nous célébrons cet anniversaire avec ce numéro d'une revue savante peut paraître à la fois unorthodoxe et non-canadien, venant d'un pays conservateur et peu disposé à exhiber la fierté qu'il éprouve face à ses succès.

L'intention de ce numéro est différente du but ordinaire de la Revue qui est « de promouvoir et d'encourager la publication de travaux empiriques et théorique ». En mettant en évidence certains aspects de l'historique de l'éducation à distance au Canada, ce numéro contribue à l'élaboration de la fondation historique de notre profession. Les puristes noteront que cette histoire est définie de manière à inclure certains événements d'importance qui se sont déroulés depuis les années 1960.

Nous ne pouvons espérer couvrir toute l'histoire de l'éducation à distance au Canada en un seul numéro. Comme rédactrice invitée, je tiens à fournir le contexte dans lequel se situent les articles de ce numéro spécial. Je prie aussi les lecteurs de se référer à d'autres publications, telles celles notées plus bas, pour obtenir davantage de renseignements sur les développements fructueux de nos travaux. De plus, les lecteurs trouveront aussi dans le Communiqué de l'ACED/CADE une ressource de valeur.

Le Contexte Historique

L'histoire de l'éducation à distance au Canada est étroitement reliée à l'invention des nouvelles technologies de la communication, à l'expansion de l'éducation, particulièrement de l'éducation des adultes, et de la détermination de certains Canadiens et Canadiennes persuadés que les technologies de la communication pouvaient faciliter l'éducation et permettre la participation complète à la vie économique, sociale et civique du pays. Dans un pays aussi vaste et divers que le Canada, il n'est pas surprenant que les communications aient joué un rôle aussi important dans notre histoire. Et il n'est pas non plus surprenant que nos gouvernements aient reconnu les possibilités offertes par les technologies de la communication et aient assisté à développer leur application. Parallèlement, il n'est pas surprenant que les alliances aient constitué la pierre angulaire de l'éducation à distance.

L'éducation à distance a facilité l'accès à l'éducation depuis la fin du dix-neuvième siècle. Par exemple, en 1889, l'Université Queens commença à offrir des cours universitaires par correspondance. En 1919, répondant à une requête de cours d'école élémentaire de la part d'un gardien de phare, la Colombie- Britannique commença elle aussi à offrir des cours par correspondance. Dès le début des années 20, les ministères de l'éducation de la Nouvelle-Ecosse, de l'Alberta, de la Saskatchewan, de l'Ontario et du Manitoba avaient développé des cours scolaires au niveau primaire et secondaire, en particulier pour les élèves des centres ruraux.

Au fur et à mesure que de nouvelles technologies de la communication étaient inventées, des éducateurs innovateurs et des éducatrices innovatrices furent impatients de les essayer et, dans la mesure du possible, de les adopter. Par exemple, en 1925–26, l'Université de l'Alberta radiodiffusa des conférences sur la station de radio privée CJCA d'Edmonton. Pendant les années 30 et 40, la division d'extension de l'Université St. François Xavier utilisa la radio pour soutenir ses programmes d'éducation pour adultes. En 1938, la Société Radio Canada (SRC) commença à allouer certains horaires pour la radiodiffusion scolaire et, deux ans après l'introduction de la télévision au Canada en 1952, la SRC expérimenta avec la télévision éducative. Pendant les années 70, les éducateurs firent à leur tour la même expérience avec les nouvelles technologies, telles que le télidon (le système canadien du videotex), le videodisque, la formation assistée par ordinateur, la téléconférence, ainsi que les fibres optiques et la communication par satellites.

En même temps que la prolifération de la technologie, un certain nombre d'institutions spécialistes de l'éducation à distance furent établies pendant les années 1970 : la Télé-université du Québec (1972), l'Université Athabasca (1972), le Collège North Island (1975) et l'Open Learning Institute (1978). De plus, quatre provinces établirent des agences provinciales de communication éducative: Radio Québec (1968), Educational Communications Authority de l'Ontario, plus tard appelé TV Ontario (1970), Access Alberta (1973) et Knowledge Network of the West (1980) qui fut relié à l'Open Learning Institute pour créer l'Open Learning Agency en 1988. Une partie du mandat de ces agences est de développer et de radiodiffuser à la fois des cours de crédit et des programmes éducatifs pour complimenter l'instruction en classes ainsi que des programmes d'intérêt éducatif général.

L'éducation à distance a contribué activement au développement professionnel et à la formation technique visant à l'emploi des Canadiens et Canadiennes. Par exemples, l'éducation à distance a joué un rôle important en permettant aux enseignants et enseignantes d'obtenir un diplôme universitaire et, ce faisant, d'améliorer leur qualifications. De plus, les écoles de correspondance privées, qui offrent un nombre de cours menant à des diplômes reconnus, jouent aussi un rôle important dans ce domaine. Pour ne citer qu'un exemple, l'Université d'Ottawa, avec l'aide du Secrétariat d'État, a utilisé la conférence audiographique pour offrir des cours aux enseignants d'immersion française en 1984–85. Quelques années plus tard, l'Université commença des projets en collaboration avec plusieurs firmes de haute technologie afin d'offrir sur les lieux de travail des cours adaptés aux horaires des employé(e)s.

La participation de la communauté est un autre aspect de l'éducation à distance. L'un des premiers cas fut le Farm Radio Forum, de renommée internationale: une collaboration inaugurée en 1940 par la Société Radio Canada, l'Association canadienne pour l'éducation des adultes et la Fédration canadienne de l'agriculture. Des groupes de fermiers et de fermières se réunissaient dans leurs cuisines pour écouter la radiodiffusion et puis, avec l'aide d'un Farm Forum Guide, discutaient des questions soulevées durant la diffusion. Chaque groupe soumettait ses réactions, ses idées, ses commentaires au Secrétaire provincial et un résumé en était radiodiffusé la semaine suivante. De temps en temps, les réponses des groupes de toutes les provinces étaient radiodiffusées afin de fournir une perspective nationale sur les problèmes discutés. Avec le slogan « Lisez, écoutez, discutez, agissez » Farm Radio Forum a servi à améliorer la qualité de la vie campagnarde et à influencer le développement de la politique agricole, jusqu'à sa dissolution en 1965. Ce modèle fut aussi adopté par d'autres programmes, tels que Citizens' Forum et Labour Forum, ainsi qu'à l'étranger où quarante pays s'en servirent pour l'éducation des adultes.

Les populations indigènes ont elles aussi utilisé les technologies de la communication pour l'éducation et la participation communautaire. Par exemple, les Crees et les Ojibwas dans le nord-ouest de l'Ontario se sont servi de la radio pendant les années 70 et 80 afin de transmettre des informations et développer un sens communautaire au sein de la population de petits centres isolés. Dans le nord, Indian Brotherhood of the Northwest Territories a utilisé la radio pour ses programmes éducatifs, tandis que Inuit Tapirisat a établi des stations de radio pour préserver la culture et la langue inuit et promouvoir la fierté de leur héritage. En 1992, Television Northern Canada fut inauguré par six groupes de radiodiffusion, par le gouvernement des Territoires du Nord-ouest, le Collège Yukon et la National Aboriginal Society afin d'offrir un certain nombre de programmes aux résidents du nord.

Comme ce survol historique le suggère, l'éducation à distance a joué un rôle important dans la vie des Canadiens et Canadiennes pendant plus d'un siècle en fournissant des cours avec crédit, des cours de développement professionnel et de formation, des cours d'intérêt général, et en facilitant la participation de la communauté. Trois thèmes principaux - l'innovation, la prise de risques et la collaboration - sont richement tissés dans l'histoire de l'éducation à distance au Canada et sont mis en évidence dans cette célébration de ses succès.

Les Articles du NuméRo SpéCial

L'une des innovations qui a le plus profondément affecté l'éducation à distance est l'emploi de satellites, une technologie invisible pour la plupart des enseignant(e)s et des étudiant(e)s. L'expérience de la communication par satellite durant les années 1970 a démontré leur viabilité, a mené à l'établissement ou à l'expansion des agences de communication éducatives, et a conduit à d'autres activités pédagogiques. Les trois premiers articles constituent une trilogie qui décrit les débuts de la communication par satellite au Canada.

Doris Jelly dépeint l'histoire de l'espace au Canada avec une emphase particulière sur les applications des satellites. Jelly décrit le travail d'équipe des scientifiques travaillant au développement du programme canadien de l'espace et la perspicacité prophétique du Dr. John Chapman dont le rapport de 1967 indique que la technologie de l'espace est « reliée si directement aux besoins d'un pays vaste et peu peuplé » que « les éléments de la technologie de l'espace, vitale pour le Canada, doivent être sous contrôle canadien ». Il en résulte que, en 1972, le premier satellite « Anik » fut lancé et que, en 1976, le projet du satellite Hermès commença. Les expériences qui suivirent en télémédecine, télééducation, audioconférence, communications régionales et radiodiffusion au foyer créèrent une révolution dans la communication au Canada.

Dans le second tableau de la trilogie, Terry Kerr décrit l'introduction des applications pédagogiques au Canada de la communication par satellite. Kerr fait un survol des expériences dans différentes parties du pays et discute le rôle des coordonateurs et des coordonnatrices de Communications Canada. Là encore, nous trouvons évidence de partenariat, d'innovation et du désir d'expérimenter.

En troisième partie nous avons un extrait d'un rapport de 1977 de Judy Roberts et al., qui fournit une description de l'une des expériences mention-nées dans les articles de Jelly et de Kerr. Le rapport de Roberts démontre amplement que ceux qui ont participé à ce travail de pionnier ont montré de grandes capacités de flexibilité et d'organisation. Ils ont dû en effet préparer les bases d'une entreprise qui couvrait le développement de plans de contingence pour n'importe quelle possibilité d'erreur humaine ou technique dans la communication. L'article fournit le contexte du Centre de Télémédecine moderne à l'Université Mémorial.

Alors que la trilogie sur la communication par satellite au Canada fournit des récits personnels et descriptifs de cette période critique dans l'historique de l'éducation à distance, l'article de Louise Moran analyse les influences politiques et pédagogiques qui ont formé le développement de l'Open Learning Institute de la Colombie-Britannique. La motivation personnelle et la collaboration sont mises en évidence par les actions du Dr. Patrick McGeer, ministre de l'éducation à l'époque, et celles du Dr. Walter Hardwick, son sous-ministre. Ils ajoutèrent « un soupçon d'hubris au savoir-faire politique pragmatique pour juger qu'un institut séparé et adéquatement pourvu serait le seul moyen d'assurer que les innovations qu'ils désiraient puissent être réalisées comme ils le voulaient ». Moran explique aussi que « l'aspect principal de la première et de la deuxième phase de l'éducation à distance consistait en la difficulté que ses protagonistes avaient à convaincre leurs collègues plus conventionnels qu'elle ne devait pas nécessairement être une méthode d'enseignement et d'apprentissage de second ordre, mais qu'au contraire, elle pouvait être tout à fait satisfaisante, effective, et d'une haute qualité intellectuelle ».

Les difficultés auxquelles ont fait face les innovateurs trouvent un écho dans les réflexions personnelles de Margaret Norquay sur l'établissement du Open College à Ryerson. Norquay traite de certaines formes de résistance envers l'Open College, lequel était un pionnier de l'enseignement par radio des cours universitaires avec crédit dans les années 1970 et un chef de file dans le domaine des admissions ouvertes. De plus, Norquay nous offre ses réflexions sur des étudiants, dont beaucoup étaient des femmes, qui ont bénéficié du catalysme que l'Open College leur avait fourni pour poursuivre leurs études même dans d'autres universités.

Dans l'article suivant, France Henri examine un aspect fondamental de la théorie de l'éducation à distance, soit la proposition que l'éducation à distance transforme le procédé pédagogique et démocratise l'enseignement grâce au contrôle que les apprenants exercent sur leur apprentissage. Elle met en question la pratique de l'éducation à distance dans le contexte de la cohérence et de la pertinence de la théorie. Utilisant la Télé-université comme sujet d'étude, elle élabore son analyse sur la base du matériel pédagogique pour vérifier si le mandat d'une institution d'éducation à distance et sa pratique pédagogiques sont bien cohérents. Ses conclusions soulèvent des questions sur la convergence ou la divergence entre le mandat explicite de nombreuses institutions d'éducation à distance, le système sous-jacent de leurs valeurs et la nature du matériel pédagogique qu'elles développent et utilisent.

Margaret Landstrom nous fait un rapport enthousiaste sur l'historique de l'ACED/CADE, de sa première décennie jusqu'à nos jours. Elle décrit l'éventail des activités entreprises par l'Association et sa volonté de pratiquer ce qu'elle prêche en utilisant les médias et les méthodes de l'éducation à distance pour de nombreuses conférences et réunions. De beaucoup de façons, les pratiques qui ont conservé la pertinence et la vigueur de l'ACED/CADE sont celles qui reflètent les thèmes de ce numéro spécial : innover, prendre des risques et collaborer.

Fidèle aux traditions d'innovation de l'ACED/CADE, le « Dialogue » engage en conversation quatre membres anciens et actifs dans l'Association: Erin Keough, Thérèse Lamy, Barbara Spronk et Jim Bizzocchi, avec Liz Burge servant de modératrice. Nous les avions invités à identifier, mais non à justifier ou à résoudre, les problèmes importants auxquelles font face les éducateurs à distance pendant les années 1990. Les problèmes qu'ils ont identifié sont les réductions du support financier, le profil changeant des apprenants et le rôle croissant du secteur privé dans l'éducation à distance. Leur conversation est pleine des thèmes de l'innovation et de la collaboration, tandis que les questions de contexte et de canevas social constitue la base sous-jacente de leurs échanges.

Le dernier article reproduit une lettre écrite par Jack Gray à une ancienne étudiante, Lynette. Le hasard fait que les dix ans qu'ont pris les études de Lynette correspondent à la première décennie de l'ACED/CADE. Dans sa lettre, Gray félicite « une étudiante exceptionnelle qui a obtenu son diplôme, comme tant de nos étudiant(e)s adultes, dans des circonstances difficiles ». La preuve qui nous est fournie d'un respect mutuel et d'un double apprentissage nous rappelle d'une façon tangible en quoi consiste réellement l'éducation.

Conclusion

Ce numéro spécial de la Revue met en lumière certains aspects de la riche histoire de l'éducation à distance au Canada. Il pose aussi quelques questions et défis tandis que nous faisons face au futur : des questions sur la nature de l'éducation, de nos valeurs et de la société, qui sont fondamentales à ce discours. Pour citer Louise Moran: « dans notre vie quotidienne nous sommes entourés d'opinions et de pressions politiques externes et internes qui, consciemment ou non, nous influencent dans les décisions que nous prenons sur nos directions politiques et notre pratique pédagogique. Et pourtant, la recherche et les publication sur l'éducation à distance ont jusqu'à présent été plutôt minces. Apprendre comment analyser le passé procure des outils pour la pratique d'aujourd'hui. L'histoire et la politique de l'éducation à distance jettent des lueurs précieuses sur les conflits et les directions de maintenant et de demain ».

Remerciements

Comme toutes les activités de l'ACED/CADE, ce numéro de la Revue a été un effort de collaboration. Nos remerciements sont dûs à ceux et à celles qui ont contribué des articles, qui ont fourni des critiques, et qui ont participé au « Dialogue ». Nous apprécions aussi avec gratitude le don par l'Université d'Ottawa d'un « pont » pour l'audioconférence du « Dialogue ». Nous remercions aussi le personnel de l'Université Simon Fraser où la Revue est préparée, traduite, mise en page, imprimée et distribuée. Nous tenons aussi à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada ainsi que l'Université Simon Fraser de leur généreuse subvention. Merci à Monique Layton, co-rédactrice de la Revue pour sa contribution, en particulier dans le domaine de la traduction, et à Joan Collinge, corédactrice de la Revue, pour sa patience, son aide et son soutien continu.

References

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