En guise de réponse à l'article de Jeanpierre Masson paru dans la Revue de l'enseignement à distance Vol. 2, No. 2, 1988

 

Celine Lebel

VOL. 4, No. 1, 51-53

Cher collègue,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre article intitulé "Sur la satisfaction des étudiants dans un contexte de formation à distance."

J'aimerais y réagir et essayer d'apporter quelques pistes de réponses - tout intuitives qu'elles soient - à la question qui vous reste si mystérieuse: "Comment un étudiant1 qui a échoué un cours peut-il se déclarer satisfait?"

Dans un premier temps, je crois qu`il y a lieu de différencier la satisfaction des étudiants et la satisfaction d'une institution d'enseignement à distance. En effet, l'institution d'enseignement à distance sera satisfaite, elle, si les étudiants qui la fréquentent n'échouent pas aux cours et continuent régulièrement de s'y inscrire. Autrement dit, l'institution sera satisfaite si la clientèle est récurrente.

Mais du côté des étudiants, la satisfaction n'est peut-être pas liée du tout aux mêmes facteurs. J'ai pris moi-même plus d'une dizaine de cours en enseignement à distance, été tutrice dans quelques groupes d'étudiants et connu individuellement des étudiants qui s'étaient inscrits à un ou quelques cours. Voici les observations que j'ai pu faire en l'occurrence.

J'imagine que vous avez comptabilisé comme étudiant ayant échoué une personne qui a tout simplement décidé, pour une raison quelconque, de ne pas terminer son cours. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un échec académique, mais d'un abandon transformé en échec.

A mon avis, un étudiant qui n'a pas terminé son cours et/ou ne s'est pas rinscrit à un deuxième cours a tout lieu d'être satisfait parce que:

  1. il a été admis à l'Université (ici, j'aurais pu utiliser le féminin. En effet, il m'a été donné de connaître plusieurs femmes qui désiraient revenir aux études, et qui étaient tout étonnées d'avoir été admises à l'Université alors qu'elles étaient persuadées qu'elles n'y arriveraient jamais). Donc, avoir été admis à l'Université, c'est un acquis très positif, et la perception de sa propre compétence en est sûrement accrue, qu'on termine ou pas.
  2. Cet étudiant a reçu des documents qu'il peut conserver et auxquels il peut faire référence quand il en sentira le besoin. Je connais personnellement un étudiant qui s'est inscrit en anglais il y a quatre ans, et qui continue d'apprendre lorsque le moment lui convient. Il a sûrement eu un échec sur son relevé de notes...
  3. Cet étudiant a peut-être appris ce qu'il voulait apprendre. La littérature en éducation des adultes nous apprend que les adultes s'inscrivent souvent à une activité éducative pour répondre à une ou des questions qu'ils se posent. Une fois ce besoin satisfait...?
  4. Dans le même ordre d'idée, l'étudiant en question n'est peut-être pas intéressé à s'inscrire à tout un programme. L'enseignement à distance demande beaucoup d'organisation, de planification, de régulation de son apprentissage. Avoir fait un grand effort une année ne veut pas dire qu'on est prêt à recommencer l'année suivante. Peut-être a-t-on suffisamment appris sur soi-même pour savoir qu'on préfère passer à autre chose.
  5. L'étudiant a été laissé libre de faire ses choix sans se faire rabrouer. Plusieurs adultes souffrent encore du "syndrome de la petite école" et croient que "la maîtresse" leur tombera dessus s'ils ne font pas ce qu'ils doivent faire. Dans un contexte d'enseignement à distance, cela ne se produit pas de cette façon-là. Donc,
  6. L'étudiant aura quitté l'institution sans se sentir coupable, en justifiant son départ par le manque de temps, raison qui est généralement reconnue comme valable.
  7. A la Télé-université, il lui en aura coûté 67,50$, la documentation qui lui restera vaut presque ce coût dans certains cours, donc, il n'aura pas perdu grand'chose.

Je me suis quand même interrogée à savoir s'il y aurait un risque quelconque à avouer qu'on est insatisfait d'une expérience comme celles dont il est question ici. Par exemple, quelles seraient les conséquences à admettre publiquement qu'un cours a été trop difficile, qu'on l'a trouvé mal organisé, que la démarche et les objectifs d'apprentissage nous apparaissaient peu clairs, et ainsi de suite. C'est sûr que les adultes qui reviennent aux études après une longue absence du milieu académique ont de la difficulté à critiquer une institution à qui ils reconnaissent eux-mêmes une grande crédibilité. C'est également certain que de dire qu'un cours était trop difficile, jouera sur la perception de sa compétence à apprendre. Il est donc beaucoup plus facile de se mentir à soi-même et aux autres et de déclarer que, somme toute, on est satisfait! On s'imagine probablement qu'en se proclamant satisfait, on se convaincra qu'on l'est vraiment, l'institution sera également satisfaite de savoir qu'on l'est, et tout le monde sera content!

Par ailleurs, je me suis également posé des questions sur le fait que le prétexte du manque de temps (est-ce toujours un prétexte?) revient si souvent dans les motifs d'abandons des cours. Mon expérience comme étudiante et tutrice me dit que nous devrions donner plus de support à nos étudiants sur le plan métacognitif: planification, organisation, auto-évaluation, régulation, et ainsi de suite. Si les étudiants semblent manquer de temps, c'est probablement qu'au départ, ils ont manqué tout simplement de planification et d'organisation, et qu'en cours de route, ils n'ont pas été capables de rvaluer leurs échéances. Finalement, le prétexte du manque de temps n'aura pas été si faux que ça.

Enfin, les caractéristiques "positives" d'une institution comme la Téluniversité jouent probablement contre la récurrence. Par exemple, les coûts peu élevés, la qualité de la documentation qui reste aux étudiants, les longs délais qu'on accorde aux étudiants pour leur permettre de terminer leurs travaux, l'inscription ouverte et non contingentée, et ainsi de suite. Vous avez probablement déjà vu, à l'épicerie, du savon en "spécial" à 2,99$ la boîte. Vous êtes probablement passé tout droit. Mais le mois suivant, quand le "spécial" à 2,99$ est revenu et qu'en plus, on avait fixé la limite à deux boîtes par client, je serais curieuse de savoir ce que vous avez fait.

Voilà. Comme vous le voyez, je n'ai pas vraiment répondu à votre question. Loin de moi toutefois l'idée de faire de cette réplique un plaidoyer pour une hausse des droits de scolarité et un contingentement rigide de nos inscriptions. Et afin d'en apprendre davantage sur les motifs réels d'abandon, peut- être la suggestion d'un questionnaire de style projectif est-elle à retenir. Tenez-nous au courant!

1. Lire au féminin également.


Céline Lebel est spécialiste à l'encadrement des étudiants à la Télé- université. Elle détient une maîtrise en psychopédagogie de l'université Laval et poursuite des études de doctorat en technologie éducationnelle à l'université de Montréal. Son expérience en formation des tuteurs et comme étudiante adulte l'a amenée à s'intéresser à tout ce qui concerne le support à l'étudiant en enseignement à distance.