Toward New Horizons for Women in Distance Education: International Perspectives, K. Faith (Ed.), London: Routledge, 1988, 343 pages.

 

France Henri

VOL. 4, No. 1, 75-79

L'ouvrage que nous présente Karlene Faith brosse une esquisse des conditions qui sont faites à la femme, en formation à distance. A travers une mosaïque de vingt textes signés par trente-sept auteures originaires de treize pays, le livre suscite une réflexion sur les mesures à prendre pour que la formation à distance devienne un réel moteur de libération et d'émancipation de la femme dans nos sociétés. Par un effet second, cette réflexion nous amène inévitablement à revoir de manière critique nos propres pratiques, et ce, en fonction de deux facteurs interdépendants; l'accessibilité à la formation et le contenu des programmes eux-mêmes.

Avant d'en aborder la lecture, il est important de savoir qu'il s'agit du premier ouvrage publié sur la femme en formation à distance. Son but est essentiellement de contribuer au développement d'un corpus de données encore peu abondantes sur le sujet. L'idée de faire appel à des collaboratrices internationales pour participer à la rédaction d'un collectif a été lancée par Liz Burge aux membres du Women's International Network, réunies à l'occasion du congrès de l'International Council for Distance Education (ICDE) à Melbourne, en 1985. Des déléguées de neuf pays répondirent immédiatement à l'appel et la direction du projet fut confiée à Karlene Faith qui recruta par la suite des collaboratrices de quatre autres pays. C'est ainsi que le Canada, la République Fédérale Allemande, Israël, la Nouvelle-Zélande, la Suède, la Papouasi-Nouvelle-Guinée, le Kenya, Pacifique Sud, l'Inde, l'Australie, la Turquie, les Pays- Bas, et la Grande-Bretagne y sont représentés.

Chaque chapitre est en quelque sorte une brève étude de cas. Les problèmes identifiés par les auteures et les analyses qu'elles en font résultent du contexte social, culturel, politique, économique ou même religieux dans lequel elles évoluent. Par des approches diverses, l'ouvrage nous présente une série de tableaux qui font comprendre que la situation de la femme par rapport à la formation à distance évolue presque toujours à partir des mêmes dénominateurs malgré les différences culturelles. Ce message se dégage avec d'autant plus de force qu'il transcende les perspectives idéologiques adoptées par les nombreuses auteures ainsi que les différentes méthodologies employées pour rapporter les cas.

Le recueil comporte des textes de nature variée: étude, compte rendu d'expérience, résultats d'enquête, témoignage. Tout en indiquant les limites inhérentes à l'hétérogénéité des méthodologies utilisées par les auteures, Karlene Faith souligne dans la préface que la démarche amorcée dans l'ouvrage constitue un premier pas nécessaire pour identifier les enjeux pour les femmes, en formation à distance, et pour établir un cadre d'analyse qui permettra d'étudier le phénomène de manière systématique.

L'accès à l'ensemble de l'ouvrage est grandement facilité par le premier chapitre que signe Faith en guise d'introduction. Elle y soulève les problèmes spécifiques auxquels les femmes font face en formation à distance et elle les relie à la problématique plus générale de la condition de la femme dans nos sociétés. Cette entrée en matière permet de situer dans une perspective élargie les questions qui sont étudiées dans les quatres parties de l'ouvrage. Le premier chapitre constitue donc une solide toile de fond à laquelle on se reportera pour extraire des référents communs aux cas présentés. Il nous fait comprendre que même si la formation à distance représente la plupart du temps un moyen d'émancipation, il peut arriver des cas où elle concourt subtilement au maintien des inégalités et à un certain camouflage de la discrimination systémique. Aussi voudra-t-on pouvoir interpréter le fait que la clientèle de la formation à distance se compose d'une proportion importante de femmes. Est-ce un signe que les femmes n'acceptent plus d'être exclues des autres formes traditionnelles d'éducation ou qu'elles font ce choix parce que les valeurs traditionnelles les retiennent encore au foyer? Dans de très nombreux cas, étudier à la maison représente pour les femmes une solution acceptable. La souplesse de la formule leur permet de concilier les aspirations souvent contradictoires, tiraillés qu'elles sont entre les différents rôles qu'elles ont à jouer et les lourdes responsabilités familiales, domestiques, économiques ou professionnelles qu'elles doivent assumer. Une fois engagées dans un programme d'études, les femmes trouvent-elles dans la formation à distance la diversité des curriculums qui répondent à leurs besoins? Sont-elles cantonnés dans des domaines d'études qui leur sont traditionnellement réservés et, si ce n'est pas le cas, les contenus intègrent-ils comme objet d'étude la perspective des femmes? Autant de questions dont on peut suivre la trame au fil des exposés. Karlene Faith laisse aux lecteurs et aux lectrices le soin d'établir entre les chapitres les convergences et les comparaisons requises pour observer la constante qui se gégage des conditions faites aux femmes, en formation à distance.

L'étude des conditions faites à la femme, en formation à distance, ne peut et ne doit se limiter à la clientèle des femmes étudiantes, elle doit s'étendre également aux femmes praticiennes du domaine, pour des raisons évidentes. Celles-ci jouent en effet une rôle déterminant puisqu'elles participent au choix de ce qui doit être enseigné, comment cela doit être enseigné et à qui. Elles interviennent donc à un moment stratégique du processus de formation où se joue en bonne partie l'accessibilité à la formation aussi bien par le contenu des programmes d'études que par les stratégies pédagogiques utilisées. Leur défi consiste à intégrer dans les contenus la perspective des femmes et à mettre en place des cheminements pédagogiques qui leur conviennent pour leur rendre véritablement accessible les savoirs et l'apprentissage. Cela imploque la reconnaissance d'une "épistémologie féministe" qui passe nécessairement par la transformation des attitudes envers les processus d'apprentissage et la construction des savoirs. Les textes rassemblés par Faith ne couvrent que partiellement ce deuxième volet de la problématique de la femme en formation à distance. Il est à souhaiter que la réflexion amorcée sur les enjeux en cause donne suite à des études plus approndies.

La première partie comprend six chapitres qui tentent d'expliquer les comportements, les réactions et les attitudes spécifiques aux femmes engagées dans une formation à distance. Les études montrent que les femmes se distinguent des hommes surtout par leur choix du programme d'études, par leur niveau d'aspiration professionnelle, et par leurs réactions face à l'apprentissage. Pour un grand nombre d'entre elles, la formation à distance contribue à revaloriser leurs capacités et à rehausser l'estime qu'elles ont d'elles-mêmes, ce qui constitue un pas important vers leur libération et leur éveil à de nouveaux rôles. En étudiant à distance, elles arrivent à réconcilier les besoins conflictuels résultant de rivalité de leur vie professionnelle et familiale.

Même si les femmes représentent une très forte proportion de la clientèle de la formation à distance, ce n'est pas une règle que l'on peut généraliser à tous les établissements de formation à distance comme on le constate à la lecture du chapitre 3. Christine von Prümmer et Üte Rossié présentent un cas très intéressant qui se démarque nettement des autres: celui de la Fern-Universität. Les femmes y sont sous-représentées principalement à cause des contenus des programmes d'études, qui sont un frein à l'accessibilité, et à cause du contexte socio-culturel où le fait d'étudier, même à distance, crée chez la femme un stress que l'homme ne connaît pas.

La deuxième partie porte sur les questions d'équité. Huit articles font ressortir que les barrières socio-culturelles à l'émancipation de femmes peuvent êtres neutralisées par la formation à distance. Cette formule est efficace: elle permet aux femmes de surmonter les handicaps de la vie en milieu rural en mettant à leur portée des programmes de formation vocationnelle qui les préparent à entrer sur le marché du travail. Les huits cas qui sont présentés portent sur des sociétés culturellement très différentes: Papouasie, Kénya, Iles Fiji et Samoa, villages agraires de l'Inde et de la Turqui, peuples autochtones du Canada, et milieux ruraux et aborigènes d'Australie. Il se dégage de ces études et comptes rendus d'expériences que la formation à distance peut répondre aux attentes de groupes de femmes qui ont en commun, malgré des différences culturelles marquées, le même désir de libération. Mais il faut pour cela que l'éducation, même à distance, se fasse dans le respect des femmes et de leurs besoins, respect qui pase nécessairement par le respect de leur culture.

Si l'on est tenté de croire que la formation à distance est une panacée à l'acculturation des femmes, la troisième partie nous fait bien voir que la formule n'a rien de magique et qu'elle doit se soumettre à certaines conditions pour servir cette cause. Pour que la formation à distance remplisse sa mission auprès des femmes, il reste de nombreux défis à relever. C'est ce qui apparaît clairement à la lecture des quatre chapitres qui composent la troisième partie. Des actions concrètes doivent être envisagés auprès de la clientèle des femmes étudiantes: on doit encourager l'évolution des mentalités, travailler à la redéfinition du rôle de la femme dans la societé et promouvoir l'élévation du niveau de ses aspirations. Les transformations à opérer, au sein des établissements de formation à distance, portent inévitablement sur les deux facteurs mis en évidence tout au long de l'ouvrage: les conditions d'accessibilité et les contenus de programmes. Gill Kirkup, au chapitre 19, nous présente l'effort exemplaire de l'Open University de Grande-Bretagne. Les conditions générales d'admissibilité y ont été assouplies; des mesures ont été mises en place pour inciter les femmes à s'inscrire dans des programmes d'études que traditionnellement elles délaissent; des contenus de cours ont été adaptés pour rejoindre leurs préoccupations et dans le but de changer les mentalités; les nouvelles technologies sont utilisées comme moyen d'enseignement, misant sur le fait que si les femmes les apprivoisent, les elles n'auront plus pleur de s'orienter vers des domaines d'études traditionnellement réservés aux hommes.

La quatrième partie de l'ouvrage veut rendre hommage aux pionnières en traçant le profil de vingt- cinq femmes qui, dans le monde, se sont illustrés en formation à distance. Dans ce dernier chapitre, signé par la Canadienne Diana Carl, l'auteure veut faire oeuvre historique tout en admettant que ce premier essai demeure incomplet. On regrette cependant que dans ce chapitre, tout comme dans le reste de l'ouvrage, ce qui se fait dans ce domaine au Canada français n'y soit à aucun moment mentionné. L'omission est de taille, car il faut se rappeler qu'au Québec plus particulièrement, la formation à distance a été dès ses débuts presque exclusivement l'oeuvre de femmes. Parmi elles, Francine MacKenzie mérite certainement une mention et son nom devrait être inscrit dans les annales internationales de la formation à distance. C'est un oubli qu'il faudra s'empresser de corriger.

Toward New Horizons for Women in Distance Education est un ouvrage de référence précieux pour alimenter les recherches sur la femme, en formation à distance. Il aura, espérons-le, un impact sur les praticiens et les praticiennes qui auront le courage, à la lumière des analyses proposées, de revoir leur pratique de telle sorte que la formation à distance permette véritablement aux femmes de s'engager dans des démarches d'éveil, d'affirmation et de libération.


France Henri
Télé-université de l’Université du Québec
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