Formation � distance et t�l�conf�rence assist�e par ordinateur: Interactivit�, quasi-interactivit�, ou monologue?

 

France Henri

VOL. 7, No. 1, 5-24

Résumé

L'int�gration de la t�l�conf�rence assist�e par ordinateur (T.A.O.) en formation � distance permet de rompre l'isolement et de rassembler les apprenants en dehors de contraintes spatio-temporelles. Selon les �crits, cette technologie g�n�rerait un processus d'apprentissage interactif qui am�ne les apprenants � participer collectivement � la construction des connaissances. L'analyse d'un corpus de messages �chang�s au cours d'une activit� de formation � distance a montr� que les apprenants ont adopt� un processus d'apprentissage diff�rent, davantage individuel que collectif, qui ne correspond pas aux descriptions du processus d'apprentissage par T.A.O. propos�es dans les �crits.

Abstract

The integration of computer assisted teleconferencing (CAT) in distance education bridges students' isolation and overcomes the spatio-temporal constraints of their meeting. According to the literature, this technology brings about an interactive learning process that permits the learners' collective participation in the construction of knowledge. The analysis of a corpus of messages exchanged during a distance education activity demonstrated that the learners adopted a different process, more individual than collective, which does not correspond to the descrition of the learning process through CAT described in the literature.

Introduction

Rompre l'�tat d'isolement dans lequel se trouve l'apprenant a toujours �t� un d�fi de taille � relever pour la formation � distance. Les rencontres en face � face et les contacts t�l�phoniques font partie des moyens employ�s couramment pour rejoindre de mani�re plus personnelle les apprenants. Malgr� les efforts pour communiquer directement avec les apprenants, il n'en demeure pas moins que l'on persiste � d�plorer le peu d'�changes entre les tuteurs et les apprenants aussi bien qu'entre les apprenants. Depuis quelques ann�es, le recours aux nouvelles technologies interactives, bas�es sur la t�l�informatique, semble une solution fort valable pour att�nuer le manque de communication interactive que les mod�les de formation � distance de masse cherchent constamment � surmonter. Ces technologies rendent possible des communications fr�quentes et rapides entre tous les participants au processus de formation, Parmi elles, la t�l�conf�rence assist�e par ordinateur (T.A.O.) a commenc� � donner des preuves d'efficacit� p�dagogique et les r�sultats d'exp�riences dont t�moignent les �crits sont encourageants.

La T.A.O. permet � des groupes d'usagers d'�changer des messages textuels � partir d'un terminal ou d'un micro-ordinateur. Au moment qui leur convient, ils �tablissent une liaison t�l�matique avec leur serveur et transmettent des messages qui seront lus et comment�s par d'autres participants. Des personnes isol�es et des groupes dispers�s g�ographiquement peuvent d�sormais communiquer rapidement, sans avoir � se d�placer. Bien que la communication puisse �tre synchronique, le plus souvent les usagers choisissent de tenir leurs �changes en mode asynchronique afin d'assouplir les contraintes de temps. Ainsi, des personnes ne partageant pas les m�mes horaires ou qui ne sont pas disponibles en m�me temps peuvent communiquer facilement puisque les messages sont gard�s en m�moire dans l'ordinateur serveur et qu'on peu y avoir acc�s au moment d�sir�.

Les discussions de groupe par T.A.O. s'organisent au sein de t�l�conf�rences qui portent sur des th�mes pr�cis, choisis par le groupe. L'animation de chacune des t�l�conf�rences est g�n�ralement confi�e � l'un des participants. Son r�le consiste � encadrer les d�bats, � voir au d�roulement d�mocratique des �changes, � encourager la participation de tous dans un climat social serein et, ultimement, � aider le groupe � atteindre le but qu'il s'est fix�.

D'abord con�u comme un outil de bureautique pour le travail en groupe pour faciliter l'�change d'information, la r�solution de probl�me et la prise de d�cision, la T.A.O. a rapidement �t� reconnue comme m�dia �ducatif recelant un large potentiel p�dagogique. Plusieurs �tablissements d'enseignement traditionnel et � distance l'ont d�j� adopt�e. Plus particuli�rement, le d�veloppement des applications p�dagogiques de la T.A.O. a suscit� chez les formateurs � distance un regain d'enthousiasme en faisant na�tre l'espoir d'�viter les pi�ges et les obstacles auxquels est confront�e la p�dagogie � distance.

Deux Pi�Ges de la P�Dagogie � Distance

Deux pi�ges guettent la pratique p�dagogique en formation � distance : le recours � un enseignement transmissif, parce que plus facile � g�rer pour dispenser une formation � distance de masse, et la participation passive qui maintient l'apprenant dans l'isolement (Henri & Kaye, 1985).

Un Enseignement � Caract�Re Transmissif

La pratique actuelle de la formation � distance de masse repose sur des enseignements dont le faible niveau d'interactivit� ne favorise pas l'�mergence d'un processus dynamique o� l'apprenant serait appel� � participer activement. Cette situation est largement tributaire des m�dias utilis�s. Parce qu'on a le plus souvent recours � des m�dias unidirectionnels et facilement accessibles par un large public, l'enseignement � distance risque, dans bien des cas, d'adopter une p�dagogie transmissive.

Pour l'enseignant, cette p�dagogie se r�sume � la pr�sentation d'une mati�re sous forme de produits p�dagogiques dont le contenu est fixe et non�volutif. L'�tudiant, pour sa part, re�oit et assimile ce contenu sur lequel il n'a aucune occasion de s'exprimer, ni pour le modifier, ni m�me pour le critiquer. Les communications qui interviennent par ailleurs entre les tuteurs et les apprenants se font soit par t�l�phone soit par courrier postal soit au cours de rares rencontres. Les apprenants n'ont donc que peu d'occasions d'�changer entre eux et les travaux de groupes sont rarement chose possible. Essentiellement, cette pratique de l'enseignement � distance ne reposerait que sur un monologue continu. Une telle approche appara�t comme un handicap majeur pour les formateurs � distance qui souhaitent pratiquer un enseignement fond� sur le dialogue et l'interactivit� en s'inspirant des th�ories cognitives de l'apprentissage (B��th, 1979).

Un Apprentissage Qui se Fait Dans L'Isolement

Le dialogue et la communication de groupe sont de plus en plus valoris�s par les courants �ducatifs contemporains. Les �changes interactifs entre les apprenants constituent la base des m�thodes d'enseignement pr�conis�es pour promouvoir les apprentissages significatifs. Il est g�nralement reconnu que l'apprentissage significatif est susceptible de se produire lorsque l'apprenant participe activement � la construction de ses propres connaissances et lorsqu'il peut �changer sur le r�sultat de son apprentissage. En formation � distance, les m�dias et les technologies de communications utilis�s jusqu'� pr�sent, exception faite du t�l�phone, ne sont pas aptes � favoriser un tel processus interactif.

L'apprentissage significatif est une notion propre aux th�ories cognitives, par exemple celles d'Ausubel (1963) et de Bruner (1960). Cette notion r�f�re au processus par lequel les nouvelles connaissances sont mises en relation avec les connaissances qui existent d�j� dans les structures cognitives de l'apprenant. Le processus s'actualise par un effort de l'apprenant pour s'approprier et traiter activement ces nouvelles connaissances. En proc�dant ainsi, l'apprenant construit ses propres connaissances. On comprend pourquoi la communication interactive entre apprenants et entre apprenants et enseignants est per�ue comme un moyen qui contribue � l'apprentissage significatif.

Les th�oriciens de la formation � distance ne sont pas rest�s indiffrents aux th�ories cognitives de l'apprentissage et aux m�thodes qu'elles proposent. Ils y ont vu les fondements d'une p�dagogie qui mise sur une dynamique nouvelle entre l'acte d'enseigner et l'acte d'apprendre et qui peut �tre appliqu�e en formation � distance malgr� les limites inh�rentes � l'enseignement m�diatis�. Par exemple, Holmberg (1981), s'associant � ce courant de pens�e, propose que le mat�riel didactique de la formation � distance soit �labor� selon un mod�le d'�changes dialogiques entre enseignants et apprenants. Il soutient que la �conversation didactique guid�e� a des effets positifs sur le taux de r�ussite et sur le degr� de satisfaction des �tudiants � distance. Il affirme que la reproduction du mod�le conversationnel facilite la compr�hension de la mati�re, procure � l'apprenant un plaisir intellectuel, encourage la motivation � l'�tude.

Cependant, m�me en simulant le dialogue, l'enseignement � distance ne peut pr�tendre alimenter � lui seul le processus d'apprentissage interactif bas� sur le dialogue. En ajoutant � l'enseignement m�diatis� des activit�s d'encadrement et un service de support � l'apprenant, on r�ussit grosso modo � lui fournir une occasion de partager les connaissances qu'il a acquises et de les enrichir au contact du tuteur et des autres apprenants. Il lui est alors possible de r�agir � la formation qu'il re�oit et de s'exprimer par rapport au contenu qui lui a �t� pr�sent�. Entre les rares moments d'interaction, la dynamique de la formation � distance fait essentiellement appel � la responsabilit� de l'apprenant pour cheminer seul dans une dmarche d'auto-apprentissage. L'�tudiant � distance doit pouvoir mobiliser ses ressources internes pour apprendre sans autre recours que sa motivation et son autonomie.

L'apprentissage � distance op�re donc en dehors de tout cadre social et intellectuel tel qu'on en trouve dans les �tablissements d'enseignement conventionnel. Dans ce contexte, il est difficile d'appliquer des m�thodes p�dagogiques qui d�coulent des th�ories cognitivistes de l'apprentissage. Ces m�thodes, comme l'indique Glaser (1986), sont fond�es sur la remise en question, la dispute et la d�couverte; elles utilisent des techniques de questionnement et de confrontation des id�es pour faire r�fl�chir et raisonner lors de l'apprentissage de diverses mati�res scolaires. M�me si on pr�voit que l'apprenant et le tuteur pourront entrer en contact par t�l�phone et en face � face, ces communications ne sont que ponctuelles et ne repr�sentent pas un substitut ad�quat pour pallier l'absence d'interaction continue. La difficult� de fournir � l'apprenant � distance des occasions d'�changes interactifs pour enrichir son processus d'apprentissage repr�sente une faiblesse que de nombreux formateurs � distance s'employent � surmonter.

Nouvel Horizon Pour la P�Dagogie � Distance

L'appropriation encore r�cente de la T.A.O. par les formateurs � distance semble promettre l'�mergence d'une communication p�dagogique plus dynamique. Sur le plan pratique, la T.A.O. offre de nombreux avantages tels la rupture de l'isolement, la rapidit� et la souplesse de la communication, le d�roulement ininterrompu de la communication de groupe en toute absence de contrainte de temps et d'espace. Sur le plan p�dagogique, la T.A.O. offre la possibilit� d'enrichir le processus d'apprentissage en mettant les �tudiants en pr�sence et en les invitant � participer � des activit�s de groupe.

La T.A.O., Plus Qu'Une Solution Aux Contraintes Spatio-Temporelles

Parce qu'elle peut se tenir en diff�r�, la communication par T.A.O. rend possible une meilleure r�flexion sur le contenu; l'apprenant peut s'arr�ter sur un commentaire particulier, revenir en arri�re ou r�f�rer � tout moment � un passage de la t�l�conf�rence qu'il juge important. La mise en m�moire des messages offre la possibilit� de revoir les �changes sous forme d'imprim�s ou � l'�cran et de les analyser avec la m�me rigueur que celle que l'on utilise pour l'analyse de textes traditionnels (McCreary, 1989). Comparativement aux situations induites par les r�unions en face � face, la T.A.O. laisse aux usagers un temps d'analyse et un temps de r�action plus long. Elle engendre une dynamique de participation sans que les luttes pour le droit � la parole n'interviennent. Les participants r�agissent davantage au contenu d'une communication qu'aux attributs de l'auteur du message tels l'�ge, l'apparence physique et le statut (Harasim, 1987).

La T.A.O., Plus Qu'Un Moyen de Rompre L'Isolement

Contrairement aux m�dias de la formation � distance de masse qui misent essentiellement sur l'auto-apprentissage, la T.A.O., en permettant des rapports directs entre apprenants ainsi qu'entre apprenants et enseignants, brise l'isolement et stimule la participation. L'interactivit� qu'elle cr�e aurait des effets tr�s positifs sur l'apprentissage, semble-t-il; elle offrirait l'occasion de d�velopper de nouvelles activit�s d'apprentissage plus stimulantes qui suscitent la participation (Kaye, 1987; McCreary & Van Duren, 1987; Harasim 1987; Hiltz, 1986).

D'apr�s certains auteurs, elle favoriserait le d�veloppement cognitif en pla�ant les individus dans un environnement o� la rencontre de leurs propres concepts cognitifs et de leurs points de vue avec ceux des autres cr�ent des conflits cognitifs. Ces derniers donneraient lieu � une construction mentale plus d�velopp�e. Les interactions sociales, en ce sens, seraient essentielles � la croissance cognitive (Clement & Nastasi, 1988).

Le groupe constitue un facteur environnemental important dans les �changes par T.A.O. Le groupe de travail intellectuel (r�flexion, d�cision, formation, r�solution de probl�me) poss�de son �nergie propre et produit des performances sup�rieures � celles r�alis�es par un membre moyen du groupe (Hiltz & Turoff, 1982). Le gain s'explique par la somme d'informations disponibles dans le groupe, par une plus grande diversit� d'interprtation des faits, par la mise � l'�preuve des id�es individuelles. Aussi le groupe lib�re l'individu de l'ins�curit� du travail intellectuel et le rend capable de proposer et d'exp�rimenter des id�es nouvelles. L'osmose sociale, la circulation des id�es et une plus grande implication personnelle faciliteraient l'assimilation, la m�morisation et la compr�hension.

A partir des travaux sur le r�le des groupes r�unis en face � face, certains auteurs font des extrapolations sur les avantages p�dagogiques de la communication de groupe et tentent d'observer s'ils se reproduiront avec la T.A.O. Ils proposent que les interactions de groupe induisent une d�marche d'apprentissage collective et coop�rative, o� les savoirs et les exp�riences de tous les apprenants sont mis � contribution (Shapiro, Moller, Nielson & Nipper, 1987). La T.A.O., par sa structure interactive, am�ne les usagers � aborder l'apprentissage selon un mode coop�ratif qui valorise le savoir collectif (Meunier & Henri, 1987; Harasim & Wolfe, 1988). Le contenu de formation se construit collectivement, par les interventions et les interactions; ainsi, dans l'activit� p�dagogique de solution collective de probl�mes, les solutions possibles �mergent des apprenants, alimentant le contenu et la dynamique d'apprentissage (Henri & Lescop, 1987).

...Et Finalement, L'Interactivit�

L'interactivit� est reconnue comme une des caract�ristiques les plus importantes de la communication par T.A.O. et constitue un des principaux facteurs qui influent sur le processus d'apprentissage. Plusieurs auteurs affirment que la T.A.O. modifie la nature de l'apprentissage et en augmente la qualit�. Ils observent qu'aucun autre m�dia ne permet une forme d'interactivit� aussi riche avec si peu de contrainte spatio-temporelle. Des groupes, dont les membres sont dispers�s, peuvent communiquer de mani�re interactive par des �changes textuels, asynchroniques, sauvegard�s sur support informatique. Cette derni�re caract�ristique de la T.A.O. est fondamentale. La sauvegarde des messages augmente l'accessibilit� � la communication interactive. Elle garantit la permanence de l'interactivit�, la pr�serve et la prolonge dans le temps et l'espace.

Selon Harasim (1987), l'interactivit� qui caract�rise la T.A.O. permet � l'apprenant � distance de participer � un processus d'apprentissage � collaboratif � qui se distingue des autres modes d'apprentissage. L'apprentissage collaboratif r�serve � l'apprenant un r�le de participant actif, fortement impliqu� dans la construction des connaissances. L'apprenant construit ses connaissances dans le cadre de discussions avec ses pairs auxquelles peuvent participer des tuteurs, des enseignants et des experts. Selon cette th�orie, les connaissances �mergent du dialogue actif, de la formulation d'id�es originales transmises sous forme de messages et de la construction d'id�es et de concepts � partir des messages �labor�s par d'autres apprenants.

Vous Avez Dit Interactivit�?

L'interactivit�, si souvent mentionn�e comme un facteur de premi�re importance qui influe sur le processus d'apprentissage par T.A.O., est rarement d�finie de mani�re op�rationnelle dans les �crits qui portent sur l'utilisation de la T.A.O. � des fins �ducatives (Henri, 1990). La plupart des auteurs associent l'interactivit� et la participation. Lorsqu'ils rapportent les r�sultats d'une exp�rience de formation par T.A.O., ils sous-entendent implicitement que mesurer la participation �quivaut � mesurer l'interactivit�. Ainsi, il est pr�sum� que tout message d�pos� dans une t�l�conf�rence est interactif. Participation, collaboration et processus collectif sont souvent synonymes d'interactivit�. Et l'interactivit�, � son tour, devient garante de l'apprentissage.

Le raisonnement qui pousse � associer participation, interactivit� et apprentissage est simple. On postule que parce que les apprenants participent � des discussions de groupe par T.A.O., ils interagissent et collaborent n�cessairement � la construction du contenu des t�l�conf�rences. L'apprentissage qui en d�coule est, sans aucun doute, le fruit d'un processus collectif. Mais la r�alit� est-elle aussi simple?

Dans le but de mieux comprendre l'interactivit� dans les t�l�conf�rences et mieux d�finir le processus d'apprentissage par T.A.O., nous avons entrepris une recherche afin d'�tudier le ph�nom�ne dans le cadre d'une activit� de formation � distance. Nous souhaitions, par cette recherche, obtenir des r�sultats qui permettent de pr�ciser comment l'interactivit� par T.A.O. peut contribuer au processus d'apprentissage � distance.

Le travail a proc�d� en trois �tapes : 1) l'op�rationnalisation du concept d'interactivit�, 2) l'�laboration d'une grille d'analyse des messages pour retracer l'interactivit� et 3) l'analyse comme telle des t�l�conf�rences.

L'Op�Rationnalisation du Concept D'Interactivit�

Pour les fins de la recherche, nous avons d'abord d�fini l'interactivit� en termes op�rationnels afin d'�tre en mesure de la rep�rer dans les t�l�conf�rences et de la qualifier. Pour ce faire, nous nous sommes inspir�e de la d�finition donn�e par Bretz (1983) qui distingue trois niveaux d'interactivit�, � savoir l'interactivit� v�ritable, la quasi-interaction et l'interactivit� simul�e. Ce dernier niveau d'interactivit� r�f�re aux syst�mes d'intelligence artificielle avec lesquels il est possible � l'�tre humain d'interagir (par exemple le logiciel Eliza). Puisque l'interactivit� simul�e n'est pas pertinente � la communication par T.A.O., nous ne l'avons pas retenue dans notre d�finition.

Selon Bretz, l'interactivit� v�ritable suppose la pr�sence d'un �metteur d'information et d'un r�cepteur. Les deux interviennent en alternance et intervertissent leurs r�les � chaque tour de parole. Ainsi l'�metteur devient r�cepteur au moment o� le r�cepteur devient �metteur. Le contenu de leurs �changes est improvis�; aucun sc�nario pr�par� � l'avance ne r�git la communication. Les conversations t�l�phoniques en sont le meilleur exemple.

La communication v�ritablement interactive op�re ainsi : le communiquant � A �, dans le r�le d'�metteur, transmet de l'information au communiquant � B � qui, � ce moment, joue le r�le de r�cepteur. Celui-ci �labore une r�ponse en fonction de l'information transmise par � A � et devient �metteur � son tour alors que � A � prend la place du r�cepteur. Par la suite le communiquant � A � retourne un message � � B � en fonction de celui qu'il a re�u de � B �. Pour qu'il y ait interaction v�ritable il faut donc trois actions :

De ces trois actions, la deuxi�me et la troisi�me sont toujours requises pour qu'il y ait interaction v�ritable. La premi�re est indispensable pour amorcer l'interaction. La communication interactive implique donc que des communiquants (deux ou plusieurs) se r�pondent entre eux.

La quasi-interaction ne comporte que deux actions. C'est le niveau d'interactivit� le plus fr�quent dans les dialogues homme-machine. L'usager pose une question et la machine, programm�e � cette fin, donne une r�ponse. Dans ce type de diade, les r�les ne sont pas interchangeables et la conversation s'�labore � partir du sc�nario pr�vu par la programmation de la machine. Ces syst�mes donnent l'illusion d'une forte interactivit� sans toutefois r�pondre aux exigences de l'interactivit� v�ritable. Ils ne permettent que deux actions :

  1. les r�les des personnes qui communiquent sont interchangeables (�metteur-r�cepteur)
  2. les �changes peuvent comprendre les trois actions de l'interaction v�ritable et former des cha�nes comprenant au moins trois �nonc�s : � A - - > B � B - - > A � A - - > B
  3. les �changes se d�roulent en l'absence de sc�nario et de toute programmation.

Si la T.A.O. rend th�oriquement possible l'interactivit� v�ritable entre les participants, en est-il ainsi pratiquement lorsqu'elle est utilis�e en formation � distance? Les apprenants s'en servent-ils comme un m�dia v�ritablement interactif o� chacun participe � la construction du contenu de la t�l�conf�rence?

La Grille D'Analyse de L'Interactivit�

La deuxi�me �tape de la recherche a permis de d�velopper une grille d'analyse qui distingue deux cat�gories de messages :

  1. les messages interactifs; ce sont ceux dont le contenu r�pond ou interpr�te ce qui a �t� dit pr�c�demment; ils se rapportent au th�me de la t�l�conf�rence et sont reli�s, de mani�re explicite ou implicite, � un ou plusieurs autres messages.
  2. les messages non-interactifs ou ind�pendants; ce sont ceux dont le contenu se rapporte au th�me de la t�l�conf�rence mais qui n'ont pas de lien avec d'autres messages de la t�l�conf�rence.

Le tableau 1 pr�sente l a grille e t donne l e s d�finitions d e s cat�gories e t souscat�gories

Le corpus des messages analys�s

Le corpus des messages analys�s provient des t�l�conf�rences auxquelles ont particip� des apprenants dans le cadre d'un projet de formation visant � d�velopper un mod�le d'application de la T.A.O. en formation � distance (voir Lescop & Henri, 1989; Henri, 1990). Le projet implique une exp�rience de formation � distance men�e aupr�s de onze apprenants adultes, travaillant comme conseilles au Mouvement Desjardins, le plus grand r�seau d'�tablissements bancaires qu�b�cois. Ce r�seau se distingue par la philosophie de coop�ration et d'entraide dont il fait la promotion autant aupr�s des ses clients que de son personnel. Les onze participants ont suivi durant six semaines un cours � distance portant sur la pr�paration financi�re de la retraite. L'exp�rience combine deux m�thodes p�dagogiques :

Ainsi, en les apprenants sont invit�s � participer � six t�l�conf�rences : deux sont r�serv�es aux discussions sur le contenu notionnel pr�sent� dans le matriel p�dagogique, trois sont consacr�es � la r�solution de probl�mes en groupe et une porte sur la m�thodologie de r�solution de probl�me. Outre les onze apprenants, deux animatrices et trois experts participent aux t�l�conf�rences. Les premi�res sont responsables de l'animation p�dagogique et du bon d�roulement des �changes; les seconds sont invit�s � le contenu des discussions lorsque les apprenants requi�rent leurs commentaires. Les animatrices et les experts avaient re�u de n'intervenir qu'au besoin afin de laisser le plus possible interagir entre eux. Par ailleurs, les apprenants avaient suivi � la T.A.O. qui mettaient en �vidence la n�cessit� de participer, et de s'entraider au cours des activit�s d'apprentissage.

Les R�Sultats de L'Analyse

Les six t�l�conf�rences comportent 290 �nonc�s que nous avons soumis � l'analyse. Nous avons distingu� les messages des apprenants (65 %) et ceux des animatrices et les experts r�unis (35 %). Le taux de participation des apprenants semble typique et comparable � ceux obtenus au cours d'exp�riences men�es ailleurs. Cependant les r�sultats de l'analyse de l'interactivit� �tonnent. Contrairement � nos attentes, un fort pourcentage des messages transmis par les apprenants ne sont pas interactifs. Ils appartiennent � la cat�gorie de messages ind�pendants. En effet, tel qu'on peut le voir au , les messages ind�pendants transmis par les apprenants comptent pour 43 % de l'ensemble comparativement � 10 % pour les animatrice et les experts r�unis.

Le tableau 3 montre en d�tail la distribution des messages ind�pendants et interactifs par conf�rence. Dans les deux t�l�conf�rences qui portent sur le contenu notionnel (Cahier B et Cahier D) on compte au total dans chacune 66 % et 67 % d'�nonc�s interactifs. Malgr� ces r�sultats, l'interactivit� entre les apprenants est faible car ceux-ci ne transmettent que 16 % et 27 % de messages interactifs. Le pourcentage �lev� des messages interactifs est d� aux r�ponses que font les animatrices ou les experts aux messages des apprenants.

Dans les trois t�l�conf�rences consacr�es � la r�solution de probl�mes en groupe, la proportion de messages interactifs est nettement inf�rieure : 38 %, 31 % et 30 %. L'interactivit� imputable aux apprenants est aussi faible que dans les t�l�conf�rences de contenu (18 %, 19 % et 26 %).

Interactivit� V�Ritable ou Quasi-Interactivit�?

Pour mieux qualifier l'interactivit�, nous avons distingu� les messages v�ritablement interactifs et quasi-interactifs. Nous avons trac� un communicogramme pour chaque t�l�conf�rence. Ces repr�sentations des �changes illustrent les liens ou l'absence de lien d'interactivit� entre les messages. L'espace dont nous dispensons ne nous permet pas de reproduire ici la totalit� de ces trac�s. Nous ne pr�sentons ici, � titre d'exemple, que des extraits.1

Explication Des Communicogrammes

Les deux exemples de la pr�sentent des trac�s de communicogrammes. Les messages ind�pendants sont plac�s sur la premi�re ligne et les messages que nous avons class�s comme interactifs se trouvent plus bas. Les lignes qui r�unissent les messages indiquent un lien d'interactivit� implicite ou explicite entre eux et montrent les cha�nes d'�nonc�s interactifs. Les �nonc�s des �tudiants sont repr�sent�s par un nombre et une lettre entre parenth�ses. Les �nonc�s encadr�s indiquent que le message provient d'une animatrice (An) ou d'un expert (Ex).

Dans le premier exemple extrait d'une t�l�conf�rence qui porte sur le contenu notionnel du cours, on retrouve trois �nonc�s ind�pendants transmis par des apprenants sur le th�me � Soci�t�s en commandite �. Ces trois �nonc�s ont donn� lieu � deux r�ponses des animatrices et une des experts. On remarque que les cha�nes ne comportent que deux �nonc�s. Au sens des d�finitions de Bretz (1983) nous sommes ici en pr�sence d'un cas de quasi-interactivit� puisqu'on ne retrouve pas les trois temps de l'interactivit� v�ritable.

Dans le second exemple extrait de la t�l�conf�rence Cahier D, nous observons un r�seau beaucoup plus complexe d'interactions. Sous le th�me � Dividendes et int�r�ts �, on peut voir des cha�nes de trois �nonc�s et plus. Au sens de Bretz, nous avons ici un cas d'interactivit� v�ritable. Tel que le montrent les donn�es du , la majorit� des th�mes discut�s au cours des t�l�conf�rences comportent des cha�nes de messages quasi-interactifs.

L'ensemble des communicogrammes que nous avons trac� � partir des t�l�conf�rences indique que la majorit� des cha�nes ne comportent que des �nonc�s quasi-interactifs. Ces cha�nes s'�laborent g�n�ralement � partir d'un �nonc� ind�pendant d'un apprenant suivi d'une r�ponse d'un expert ou d`une animatrice. La communication proc�de selon le mod�le suivant :

Que les cha�nes soient v�ritablement interactives ou quasi-interactives, l'analyse r�v�le que l'interactivit� est principalement imputable � l'initiative des animatrices et des experts. En effet, dans la plupart des cas, ils sont intervenus en l'absence de r�action des autres apprenants. Cette observation appara�t plus mettement lorsqu'on retire des communicogrammes les r�ponses des animatrices et des experts pour ne conserver que les messages des apprenants. La figure 2 en donne un exemple �loquent. Elle montre que sans l'intervention des experts ou des animatrices, les apprenants interagissent peu entre eux.

...Et le Monologue

Nous avons �t� �tonn�e du type de participation obtenue dans les activit�s de r�solution de probl�me en groupe. Bien que la structure de ces t�l�conf�rences fait appel � la collaboration, on y retrouve encore moins de messages interactifs que dans les discussions sur le contenu notionnel du cours. Les apprenants y pr�sentent leur vision du probl�me, �laborent des hypoth�ses et justifient leurs points de vue sans faire r�f�rence aux solutions des autres. Les t�l�conf�rences se pr�sentent comme une suite d'interventions s�par�es portant sur le m�me sujet. Les apprenants ne mentionnent pas les recoupements, les similitudes ou les diff�rences entre leurs solutions et celles de leurs pairs. Pourtant les apprenants ont rapport� au cours d'entrevues qui ont suivi l'exp�rience de formation � distance (Guertin 1988, 1989) que la principale source d'apprentissage avait d'abord �t� la lecture de mat�riel p�dagogique et, en deuxi�me lieu et presqu'au m�me degr� d'importance, la lecture des diff�rentes solutions pr�sent�es dans les t�l�conf�rences. Par la lecture des t�l�conf�rences, ils ont pu observer comment leurs coll�gues proc�dent pour r�soudre les probl�mes et les arguments qu'ils utilisent pour les justifier. Ainsi, ils ont pu apprendre diff�rentes approches aux probl�mes, ce qu'il n'est pas possible de faire dans une situation traditionnelle de formation en face � face ou � distance.

L'importance du discours du � ma�tre �: une explication � la faible interactivit�

Dans les t�l�conf�rences les experts et les animatrices interviennent peu pour laisser la dynamique des �changes se d�velopper entre les apprenants. Ils ne se manifestent que pour apporter les clarifications n�cessaires, corriger les informations qui ne sont pas justes et relever les raisonnements erronn�s. Par ailleurs, les trac�s des communicogrammes r�v�lent que leurs �nonc�s occupent une place strat�gique dans le d�roulement de la communication interactive malgr� leur faible nombre. L'importance du � discours du ma�tre � pour les apprenants appara�t �vidente. L'interactivit� s'�labore sur le mod�le du dialogue ma�tre- �l�ve. Tout comme dans une situation d'enseignement traditionnel, les communicogrammes montrent que les �changes se font surtout entre apprenants et ceux qui jouent le r�le du ma�tre (animatrices et experts) et tr�s peu entre les pairs. Il s'agit d'une r�plique du sc�nario classique o�, lorsque l'�l�ve prend la parole dans la classe, le ma�tre r�pond, confirme, approuve ou renforce. Dans les t�l�conf�rences, le � discours du ma�tre � ne s'impose pas en terme quantitatif mais en terme qualitatif.

En Guise de Conclusion

Contrairement aux r�sultats attendus, l'analyse du corpus de messages que nous avons faite ne retrace qu'un tiers de messages interactifs. Cette faible proportion oblige � revoir la nature des �changes de groupe et l'importance pr�sum�e de l'interactivit� dans le processus d'apprentissage par T.A.O. Rappelons que selon les descriptions rapport�es dans les �crits, la T.A.O. g�n�rerait l'apprentissage gr�ce aux interactions entre les apprenants. L'�change de messages contribuerait � la construction des connaissances, � la collaboration et � l'apprentissage significatif.

Nous avons montr�, gr�ce � l'op�rationnalisation du concept d'interactivit�, qu'un grand nombre de messages des apprenants ne sont pas interactifs (au sens de Bretz). Les messages sont ind�pendants tout en demeurant pertinents au th�me de la discussion. Ils comportent des questionnements, des raisonnements sur les notions et les probl�mes, des commentaires personnels, et ainsi de suite. Ils traduisent la r�flexion que les apprenants font sur le contenu � appendre. L'analyse des t�l�conf�rences ne nous a pas indiqu� de mani�re certaine que, collectivement, les apprenants participent � la (re)construction des connaissances puisque les messages demeurent en grande majorit� ind�pendants les uns des autres. Les communicogrammes repr�sentent les messages des apprenants comme les pi�ces d'une mosa�que dont l'assemblage est pris en charge par les animatrices et les experts.

Le faible pourcentage de messages interactifs retrac�s dans les t�l�conf�rences ne nous permet pas pour autant de conclure qu'il n'y a pas eu d'apprentissages significatifs ou de constructions de connaissances. On ne peut rien pr�sumer de tel car dans leur appr�ciation verbale de leur participation aux t�l�conf�rences, les apprenants ont affirm� avoir beaucoup appris. Les r�sultats am�nent donc � reconceptualiser le processus d'apprentissage par T.A.O. en pr�cisant la nature de l'interactivit�.

Nous proposons que l'apprentissage par T.A.O. est le fruit d'un processus d'interaction et d'un dialogue interne qui s'organise � partir du contenu notionnel du cours autant que des t�l�conf�rences. Ce processus interne ne s'actualise pas n�cessairement par la participation aux t�l�conf�rences. N�anmoins, les r�sultats du processus interne peuvent d�sormais �tre communiqu�s par T.A.O. et ils prennent souvent la forme de messages ind�pendants.

Les messages ind�pendants d�pos�s dans les t�l�conf�rences seraient un moyen pour l'apprenant de v�rifier aupr�s des autres apprenants la construction de connaissances qu'il a op�r� et de s'assurer qu'elle est juste.

Jusqu'ici les interactions au sein des t�l�conf�rences ont �t� d�crites comme le moteur principal de l'apprentissage par T.A.O. Notre recherche indique plut�t que la participation aux t�l�conf�rences serait une occasion de v�rifier et de valider des connaissances nouvellement acquises et des habilet�s nouvellement d�velopp�es. Une telle description ne correspond plus exactement � la conception du processus d'apprentissage par T.A.O. que l'on donne dans les �crits. Cette conception, essentiellement fond�e sur la collaboration et l'interaction des apprenants dans une d�marche collective, a �t� extrapol�e � partir des r�sultats obtenus lors de l'utilisation de la T.A.O. en milieu de travail aupr�s de groupes de professionnels. Dans la plupart de ces exp�riences, la T.A.O. a �t� introduite comme outil de travail pour faciliter la r�alisation collective de t�ches et l'atteinte d'objectifs communs par un groupe. Ces exp�riences d�montrent que la T.A.O. est un moyen efficace pour la prise de d�cisions en groupe, pour l'accomplissement de t�ches collectives et pour le gestion du processus de communication (Kerr & Hiltz, 1982).

En d�veloppant des applications p�dagogiques de la T.A.O., on a pens� que le processus d'apprentissage se calquerait sur le processus de travail en groupe et que l'apprentissage serait le produit d'un travail fait en collaboration et d'un effort collectif. Or, le processus d'apprentissage par T.A.O., tel que nous avons pu l'observer au cours de notre recherche, ne semble pas �tre similaire au processus collectif de travail en groupe. Il se pr�sente plut�t comme un processus individuel par lequel l'apprenant vise des objectifs qu'il veut personnellement atteindre. La T.A.O. l'am�nerait � rechercher un certain support aupr�s des membres du groupe qui participent aux t�l�conf�rences.

En r�sum�, l'analyse de l'interactivit� nous permet de faire la distinction entre :

Les r�sultats de l'analyse des messages sugg�rent que la T.A.O. pourrait supporter des cheminements d'apprentissage individuels auxquels le groupe apporte soutien et validation. La T.A.O. ne g�n�rerait donc pas un processus d'apprentissage unique, caract�ris� par des �changes interactifs inscrits dans une d�marche collective de coop�ration et de construction des connaissances.

Notes

1. Pour obtenir les trac�s complets des communicogrammes, le lecteur pourra se r�f�rer � Henri, F. (1989). La t�l�conf�rence assist�e par ordinateur dans une activit� de formation � distance. Th�se de doctorat, Universit� Concordia, Montr�al.

Références

Ausubel, D. P. (1963). The psychology of meaningful verbal learning. NY: Grune & Stratton.

B��th, J. A. (1979). Correspondence education in the light of a number of contemporary teaching models. Malm�: LiberHermods.

Bretz, R. (1983). Media for interactive communication. London: Sage. Bruner, J. S. (1960). The process of education. Cambridge, MA: Harvard University Press.

France Henri, ancien membre du Comité de direction de l’ACED, est spécialiste en technologie de l’ education. Elle est rattachée à la Télé-université de l’Université du Québec depuis 1981. Elle est accréditée comme chercheure au Laboratoire de recherché en informatique cognitive et environments de formation.