La Pédagogie Contemporaine de l'Apprentissage Constructiviste: Autoroute ou Cul de Sac pour la Formation à Distance?

Gilles Lavigne

VOL. 22, No. 1, 59-72

Résumé

Les technologies actuelles ont accéléré et consolidé le changement de paradigme vers le constructivisme mais sans réellement entraîner une révision du comment médiatiser. Il en résulte un démembrement du processus d'enseignement - apprentissage qui génère une discontinuité entre théorie et pratique. Existe-t-il une façon de solutionner le problème de la discontinuité entre théorie et pratique de l'enseignement constructiviste dont les tenants s'égarent de part et d'autre de cette discontinuité qui fracture la pédagogie contemporaine? Le présent article examine les origines de la fracture entre théorie et pratique et invoque un retour à la communication éducative pour rétablir, si possible, la relation entre science et art dans la pédagogie constructiviste.

Abstract

Current technologies have accelerated and consolidated the change towards the constructivist paradigm without really leading to a full revision of how to teach. The resulting break up of the teaching-learning process generated a discontinuity between theory and practice. Does exist a way out to solving the discontinuity between theory and practice within the constructivist approach which does fracture contemporary pedagogy? This article examines the origins of the fracture between theory and practice and calls upon a revision of the educational communication process to restore, if possible, the connection between science and art in the constructivist pedagogy.

Introduction

Pour banale qu'elle soit, l'invocation des fameuses technologies de l'information et de la communication (TIC) reste incontournable dès qu'il s'agit de pédagogie à distance. Ceci d'autant plus que le développement de ces dernières a favorisé au cours de la dernière décennie l'éclosion d'une nouvelle économie, dite des connaissances, dans laquelle l'éducation supérieure, pourvoyeuse de chercheurs et productrice de connaissances, est appelée à jouer un rôle de base (ITAG, 1999; Aubert, 2005; Takahashi, 2000). Cette économie, en effet, repose sur la connaissance comme facteur de production ce qui nécessite sa codification, de façon à ce qu'elle puisse s'échanger et surtout se vendre (Cisneros et al. sans date; David et Foray, 2002).

L'éducation à distance s'inscrit dans la mouvance de cette nouvelle économie non seulement comme pourvoyeuse de ressources mais aussi comme une composante du marché du savoir; le courant actuel de développement de la formation à distance, orienté vers la production d'objets de connaissance, catalogués, stockés et prêts à la consommation, en constitue un indice notable. Cette tendance sociétale influe nécessairement sur la pédagogie mise en œuvre dans les pratiques de formation à distance fondées sur les TIC et la question se pose de l'à-propos des applications pédagogiques en usage, compte tenu des fondements théoriques de ces dernières.

En effet, existe-t-il une façon de solutionner le problème de la discontinuité entre théorie et pratique de l'enseignement constructiviste?

Considérations Théoriques et Pratiques: Discontinuité versus Pragmatisme

La recherche contemporaine en éducation s'intéresse beaucoup aux conditions d'emploi et aux impacts pédagogiques que les technologies d'information et de communication peuvent avoir sur la formation, en particulier à distance, pour ne pas dire en ligne. Diverses raisons expliquent cette orientation, depuis le besoin de comprendre et d'expliquer le quasi échec, en termes financiers, de la formation en ligne aux États-Unis (Zemsky et Massy, 2004) jusqu'à la nécessité de contrôler l'utilisation des médias de façon efficace, afin d'en promouvoir l'usage. Reste que ces recherches ont montré que l'apprentissage était meilleur lorsque le processus était centré sur l'apprenant, dès lors autonome et responsable de sa formation, et non plus sur la prestation magistrale (Simonson et al. 2003, p 152). Cette convergence de l'empirie avec le cadre théorique constructiviste a donc sanctionné le recours aux propositions conceptuelles de ce courant théorique pour asseoir les pratiques de la formation en ligne.

Il est, en effet, de plus en plus usuel de trouver dans les manuels destinés à identifier les « bonnes » pratiques de la formation en ligne un fondement théorique de type constructiviste (voir pour l'exemple: Strijbos et al. Eds, 2004; Simonson et al. 2003; Abbey Ed., 2000). La recherche menée par la chercheuse canadienne Elizabeth Murphy (1997), recherche des plus complètes sur le constructivisme, de l'épistémologie à la pratique, a mis à jour que si les cinq cours étudiés, déclarés comme constructivistes, respectaient en majorité les éléments qu'elle avait identifiés comme indicateurs d'une pédagogie constructiviste, elle ne pouvait garantir néanmoins que ces cours étaient bel et bien d'essence constructiviste:

« […] it is not clear whether or not they were directly conceived with and designed by constructivist principles. What is clear, however, is that the projects do indeed provide a direct link between theories of knowledge, on one hand, and teaching and learning practices on the other. » (1997, sans page).

Cette recherche met en lumière une double discontinuité entre théorie et pratique du constructivisme. Sur les 18 critères identifiés comme indicateurs de l'application d'une pédagogie constructiviste dans la conception et le design des cours analysés, celui qui n'a été respecté qu'une seule fois concerne l'évaluation « authentique » des apprentissages. Ceci signifie que les étudiants qui ont suivi ces cours ont été évalués en fonction de leur capacité à reproduire des connaissances « établies » et non en fonction de leur compétence à générer une interprétation personnelle des connaissances, objets des cours en question. La discontinuité s'établit donc, d'une part, entre la conception constructiviste de l'apprentissage et l'évaluation effective qui en est faite et, d'autre part, entre la conception constructiviste de la socialisation du savoir et celle, positiviste, du savoir social. La discontinuité renvoie à la conception constructiviste du réel.

Nul ne met en doute l'épistémologie génétique de J. Piaget, à la base du (des) constructivisme(s). Par contre, sa prise en charge sur le plan des applications pédagogiques est loin d'être acquise. Cette dérogation se comprend et s'explique. Cette théorie pose l'apprentissage comme un comportement d'adaptation individuelle à l'environnement. Un individu est toujours en relation avec son environnement et tous les objets inclus dans celui-ci sont autant d'objets d'apprentissage potentiel. Si ces objets, selon leurs caractéristiques, concordent avec les schèmes de connaissance établis antérieurement, le processus d'apprentissage en opère l'assimilation. S'ils dérogent, s'enclenche alors un conflit lequel se résorbe lorsque le processus d'apprentissage construit un nouveau schème cognitif pour que se réalise une accommodation à l'environnement. Celle-ci se manifeste par l'action que l'individu mènera sur les objets de son environnement. En conséquence, l'apprentissage comme tel est inaccessible, il est strictement individuel, seules ses traces sont perceptibles dans les actions par lesquelles un sujet met en opération les connaissances qu'il a construites.

Une question se pose alors: comment les connaissances construites par les individus peuvent-elles concorder avec les connaissances constitutives d'un (du) savoir social? Il est indéniable qu'un tel savoir non seulement existe mais que les applications auxquelles il donne lieu sont efficaces, peu importe que le réel soit structuré ou non. Par contre, si chaque individu le structure à sa façon, comme les hommes vivent dans un environnement presque totalement culturellement défini, ils se socialisent à même leur relation avec cet environnement en apprenant et développent ainsi une structuration socialisée et acculturée du réel, d'autant plus que cet environnement inclut d'autres êtres humains entre lesquels existe une communication constante, à la fois génératrice d'objets d'apprentissage et régulatrice des actions individuellement définies. La construction de connaissances individuelles et sociales serait donc deux processus parallèles mais concomitants (Piaget y Garcia, 1983, cité par Munari, 1994).

Il est intéressant de noter que cette conception rejoint certaines conclusions de recherches en neurobiologie, lesquelles situent la capacité d'apprentissage dans la perspective de l'évolution biologique des êtres vivants. Le chercheur américain P. Grobstein propose un modèle duel articulé sur la relation à l'environnement:t:

In short, the brain does not get any unambiguous information about exactly what is "out there"; all it gets is signals in sensory neurons which it needs to "make sense of". Indeed, it gets no unambiguous information indicating that there IS an "out there"

[…]

What is "real" to the brain is the signals it receives (and it itself generates), signals which are always ambiguous in the sense of having multiple interpretations. In the face of this, what the brain has evolved to do is not to lessen its imperfections in painting pictures of "reality", but rather to make of the ambiguous information it has candidate unambiguous paintings, not one but many, which it can then test by additional observations. (Grobstein, 2003 s p)

Cette conception campe un premier module (Inquirer), correspondant à cette partie du cerveau commun, sous diverses formes, à tous les êtres vivants, laquelle s'est développée aux cours de millions d'années au rythme de l'évolution sous forme d'une organisation interne capable de représenter les aspects du milieu ambiant en fonction d'expériences antérieures; c'est lui qui opérationnalise toutes les transactions avec le milieu, ceci d'une manière inconsciente. Par ailleurs, une partie des êtres vivants, dont les hommes, a, de plus, développé un second module (I-Function), correspondant au néocortex, lequel a pour fonction de donner de façon consciente un sens et une intentionnalité aux modèles fournis par le 1er module (Grobstein, 2005). .

Based on input from module 1, module 2 creates "stories", pictures/ideas/ways of making sense of things that constitute human experience and culture. Module 2 in turn influences module 1 and via module 1 the world outside (others story tellers, others model builders, and the inanimate world as well (Grobstein, 2005 s p).

Cette organisation du cerveau humain rend compte autant de la compétence humaine à apprendre et à créer, qu'à conduire une action; elle converge et rencontre la théorie de l'épistémologie génétique, l'une, l'autre se renforçant. Le savoir neurobiologique ou neuropsychologique est, pour l'heure, en construction et les conceptions théoriques, telle celle de Grobstein, demeurent sous le couvert de la recherche, tout comme l'épistémologie génétique de Piaget d'ailleurs. Il faut convenir néanmoins que ces cadres théoriques, en particulier celui de Piaget, sont les seuls outils, et les plus solides, à la disposition des pédagogues pour comprendre le processus d'apprentissage (Coll, 1998).

Figure 1: Illustration de l'organisation bipartite du cerveau humain selon Grobstein (2003, 2005).

Ce retour sur le fondement théorique du constructivisme laisse grande ouverte la problématique de l'évaluation des apprentissages. Il ne semble possible, en effet, d'évaluer la teneur et l'à-propos des connaissances construites par un apprenant que par le biais des traces laissées par les applications par lesquelles il les rend opératoires. Et encore faudrait-il s'entendre sur ce qui valorise une construction cognitive ou mieux un schème opératoire et ce qui en fonde l'opportunité. En toute logique, ce ne peut être que l'efficience de l'application de ce schème sur l'environnement en termes d'adaptation, au sens piagétien du terme. Comme cette efficience adaptative est individuelle, par définition, sa mesure pose problème et sa standardisation à des fins de comparaison, encore plus. C'est la démarche évaluative elle-même qui est remise en question. On évalue quoi, comment et pourquoi?

Le recours à un cadre conceptuel constructiviste pour élaborer une formation, à distance, en ligne ou en présentiel, pose donc de sérieux problèmes de design pédagogique, et ce non seulement sur le plan de l'évaluation des apprentissages mais aussi sur celui de la conception globale de la formation, de son design. Les pratiques pédagogiques à fondement constructiviste, sous couvert de la centralité de l'étudiant-apprenant, ont escamoté le rôle du maître-concepteur au profit de celui de facilitateur, de guide… ceci en particulier dans les formations conçues pour la distance où la fonction professorale est éclatée et le processus de conception assujetti à une forme d'industrialisation (Glikman, 2002; Simonson et al. 2003). Pourtant Piaget n'a jamais mis de côté le rôle du professeur, ni celui des livres dans le processus d'apprentissage: « La escuela ideal no tendría manuales obligatorios para los alumnos sino solamente obras de referencia que se emplearían libremente […] los únicos manuales indispensables son los que usa el maestro » (Piaget, 1949, p. 39, cité par Munari, 1994). Au contraire, comme le processus d'apprentissage individuel produira des connaissances socialisées en fonction de la communication établie entre l'apprenant et son milieu, humanisé et socialisé, dans le cadre d'une intervention de formation, le rôle du professeur sera essentiel. Mais il y a plus encore.

À ce point, se pose la question de l'adéquation entre les fondements de la théorie constructiviste et les méthodes de design pédagogique, en particulier instructionnelles, lesquelles se fondent largement sur des principes behavioristes. La flexibilité que requiert une formation constructiviste pour permettre à un apprenant de (re)construire et s'approprier une connaissance se concilie difficilement avec un programme d'instructions destiné à « orienter » le cheminement de l'étudiant dans son apprentissage (en fonction d'un objectif qui n'est pas celui de l'étudiant, règle générale) puisqu'une telle programmation faite pour « tous », ne peut programmer, par définition, ni l'aléatoire, ni le particulier. Les méthodes de design dites constructivistes mettent certes l'emphase sur des approches pédagogiques convergentes avec les fondements constructivistes mais ne proposent pas de méthodes de design à proprement parlé constructivistes (Leigh, 1999; Ryder, 2006). On y trouve plutôt des principes à respecter dont la mise en opération reste floue ou insuffisante, telle, par exemple, la condition de « connaître » les étudiants auxquels on s'adresse puisque ce que l'on peut en connaître reste très général et jamais individualisé, ou encore de favoriser l'apprentissage collaboratif, le développement de communautés d'apprentissage, de travailler avec des cas réels.

Tout bien considéré, il semble difficile de trouver une solution de continuité entre théorie et pratique à l'intérieur d'une conception de l'éducation comme science. Ou bien il faudrait revoir la pratique au complet, ou bien changer de théorie et revenir à une conception plus positiviste. Ce dilemme est omniprésent dans les réflexions sur l'éducation tant sur le plan de la conception-application de formations que sur celui de la recherche dès que survient une interrogation sur les fondements théoriques des pratiques (Van der Maren, 1996; Sanvisens, 1987; Bertrán-Quera, 1987). Une façon de sortir de cette impasse ne serait-elle pas de revenir à une conception de l'éducation à la fois art et science? Au même titre que la musique ou encore que la médecine? La dimension « communication », intrinsèque à l'éducation, n'est le plus souvent abordée, surtout de nos jours, qu'au travers de l'arsenal médiatique sans que soit posée et définie son assise.

Retour sur la Communication éducative

Comment peut se concevoir l'interaction professeur-étudiant dans une situation de formation? Se distinguent, en vrac, les éléments suivants pour en décrire l'avènement:

  1. les deux acteurs ont ceci en commun qu'ils détiennent tous deux la capacité d'apprendre;
  2. la situation sociale dans laquelle ceux-ci se trouvent veut que l'étudiant soit là pour se former, entre autres par le développement de nouvelles connaissances;
  3. le professeur (ou tout autre acteur pédagogique), considéré comme porteur de ces mmes connaissances, est là pour aider l'étudiant à se former;
  4. l'étudiant apprendra seulement si sa capacité à le faire est mobilisée par son environnement;
  5. le professeur doit donc activer ou dynamiser cette capacité en proposant à l'étudiant un « objet » d'apprentissage, qualifiable de message pédagogique;
  6. le professeur devra mettre en forme ce message-objet d'apprentissage de manière telle qu'il puisse, de fait, mobiliser cette capacité;
  7. l'étudiant interprétera le message selon ses connaissances antérieures pour construire, éventuellement, une nouvelle connaissance;
  8. si le message se révèle efficace, l'étudiant pourra rendre opérationnelle sa nouvelle connaissance en agissant sur son environnement;
  9. l'efficacité de cette action rendra compte de l'efficacité de l'apprentissage et, par là, celle de la mise en forme du message, donc de la pratique du professeur;
  10. le professeur apprendra quelles mises en formes sont les plus efficaces et sous quelles conditions.

Cette description, quelque peu lapidaire, évoque un cycle de communication mettant en jeu deux processus, un premier centré sur la mise en forme de messages pédagogiques et un second sur l'interprétation de ces derniers, l'un et l'autre à des fins d'apprentissage. Le premier a pour fonction de dynamiser l'apprentissage, le second de valoriser le message-objet d'apprentissage; le premier concerne la conception-mise en forme-production-transmission d'un message pédagogique, le second concerne la réception-perception-interprétation-assimilation (ou accommodation) d'un tel message; les deux processus s'articulant l'un à l'autre sous la forme d'une interaction ayant pour finalité l'apprentissage, c'est-à-dire la création de sens. Par ailleurs, d'autres facteurs ne peuvent qu'influer l'un et l'autre processus, autant les caractéristiques individuelles et les compétences personnelles des acteurs, que les circonstances dans lesquelles se déroule la communication. De plus, un professeur peut produire un message pédagogique destiné à plusieurs étudiants, comme à un seul et un étudiant peut interpréter un message pédagogique de façon intrinsèque ou en fonction de critères extrinsèques.

Ce type de communication s'apparente à celle qui prévaut entre un compositeur de musique et un auditeur. Le premier crée une œuvre par laquelle il compte mobiliser les émotions de ses auditeurs et ainsi leur transmettre ses propres sentiments, toutefois l'auditeur interprétera l'œuvre avec ses propres critères, intrinsèques ou extrinsèques, et rien ne garantit qu'il interprétera l'œuvre comme l'auteur l'eut aimé. Il semble admissible, par conséquent, d'utiliser quelques concepts empruntés au champ de la communication, en particulier à celui de la sémiologie, pour formaliser quelque peu la communication éducative.

En ce qui concerne le premier processus, il semble judicieux de suivre la recommandation de C. Castoriadis (cité par Morin, 2002, p. 60) et de qualifier ce processus de poïétique, du grec poihdiz, action de faire, de créer, de produire, d'éduquer, tout en retenant la distinction introduite par Rowland (2002), entre allopoïétique et homéopoïétique, pour prendre en charge la différence entre la production éducative pour et la production éducative avec. Pour le second processus, le concept de esthésique proposé par Nattiez (1990) à propos de l'interprétation des œuvres musicales semble opportun, complété par l'apport de Pyke (sans date et sans page) qui établit la distinction entre emic, intrinsèque, et etic, extrinsèque, pour qualifier les critères utilisés de l'interprétation.

Cette organisation de la communication éducative offre l'avantage de bien distinguer les deux processus en opération dans une interaction pédagogique, tout en rétablissant l'interrelation entre la part revenant à la « didactique », entendue comme mise en forme, donc porteuse de sens, et celle revenant à l'apprentissage, entendu comme productrice de sens; étant entendu que l'objet de l'éducation, en tant que fait social, est d'assurer l'adéquation des sens dans le cadre d'un développement intégral des personnes, tous membres d'une société. .

Figure 2: Schéma de l'interaction entre professeurs et étudiants.

Figure 2: Schéma de l'interaction entre professeurs et étudiants.

Cette organisation de la communication éducative offre l'avantage de bien distinguer les deux processus en opération dans une interaction pédagogique, tout en rétablissant l'interrelation entre la part revenant à la « didactique », entendue comme mise en forme, donc porteuse de sens, et celle revenant à l'apprentissage, entendu comme productrice de sens; étant entendu que l'objet de l'éducation, en tant que fait social, est d'assurer l'adéquation des sens dans le cadre d'un développement intégral des personnes, tous membres d'une société.

Ce Modèle Permet de plus de Catégoriser les Formations Éducatives

Les quatre types de formation sont exclusifs; ils rendent compte de l'intersection des deux processus sous leur double modalité. La catégorie « Innovation-prototype » renvoie à un message pédagogique général (pour tous), interprété de façon intrinsèque (par et pour lui-même), alors que la catégorie « Production en série » renvoie à un même type de message pédagogique interprété cette fois de façon extrinsèque, c'est-à-dire selon une critériologie standardisée. La «Création-œuvre » renvoie, elle, à un message particulier, émis pour un seul apprenant, et interprété de façon intrinsèque, donnant lieu ainsi à une formation assez particulière, la « Duplication-multiple » rend compte de l'interprétation à l'aide de critères extrinsèques d'un message particulier.

Figure 3: Types de formations éducatives.

Figure 3: Types de formations éducatives.

Nul doute qu'au cours de son développement un apprenant va expérimenter tous les types de formation; de même un intervenant va mettre en œuvre divers types de pratiques. On peut néanmoins concevoir que selon les caractéristiques des individus et selon les circonstances, des schèmes de pratiques et de formations puissent être identifiés et associés tant à des individus qu'à des circonstances. Seule une recherche orientée dans ce sens pourrait le confirmer ou l'infirmer.

Conclusions

Les pratiques éducatives contemporaines visent la formation d'un grand nombre d'étudiants, aussi sont-elles de plus en plus standardisées, normées, en fonction de critères tant administratifs que scientifiques. L'éducation est conçue comme une science appliquée, mettant en œuvre des connaissances issues de l'une ou l'autre des écoles de la psychologie de l'apprentissage. Au regard des connaissances disponibles, la théorie de l'épistémologie génétique est celle qui propose l'explication la plus vraisemblable de ce processus. Celle-ci, toutefois, en arrimant l'apprentissage au niveau de l'individu génère une discontinuité entre théorie et pratique. De plus, pour concilier l'individualité de l'apprentissage avec l'existence d'un savoir socialement établi, il est indispensable de situer l'apprentissage dans un schème de communication, or cette dernière est traitée presque exclusivement comme pourvoyeuse d'information, alors qu'elle est porteuse de sens.

L'intégration du processus d'apprentissage dans un schéma de communication éducative requiert la définition d'un autre processus, pendant et complémentaire, ce qui revient à rétablir le couple opératoire « enseignement-apprentissage » et à repenser la fonction « didactique », non plus comme une science, propre ou appliquée (Ferrández-Arenaz, 1987), mais bien comme un savoir-faire, un art, celui de mettre en forme un ensemble d'information, donc de lui donner un sens, dans le but de dynamiser l'apprentissage chez autrui. Il ne s'agit pas ici de revamper le discours de la didactique, il s'agit plutôt de repenser la fonction, comme l'a fait, par exemple, S. Papert ( Papert et Harel, 2002; Badilla-Saxe et Chacón-Murillo, 2004). Cette façon d'aborder la pédagogie permettrait peut-être de solutionner le problème de la continuité entre théorie et pratique et d'éviter la prolifération de concepts, de principes, de produits, dont les tenants et les aboutissants s'égarent de part et d'autre de cette discontinuité qui fracture la pédagogie contemporaine.

En ce qui concerne la formation à distance, nul doute que le cadre constructiviste lui donne une assise théorique idoine puisque cette modalité centre de fait l'éducation sur l'apprenant. De plus, elle valorise le tutorat, fonction indispensable en éducation à distance. Par contre, l'individualité du processus d'apprentissage entre en conflit avec la télénomie non seulement de l'éducation à distance, mais de l'éducation tout court, soit de former le plus grand nombre d'apprenants (cf. le fameux Education for all), et au moindre coût. L'accent mis sur l'apprentissage collaboratif, situé, significatif, par problème, par projet, etc. confère, certes, aux formations une touche constructiviste et, sans doute, une plus grande efficacité, mais ne garantissent pas, comme le mentionnait E. Murphy, une réelle formation constructiviste. Combien de temps une telle dislocation entre théorie et pratique pourra-t-elle se maintenir?

De façon paradoxale, la recherche orientée vers le développement d'objets de connaissance, de granulosité réduite et sans contexte, pourrait dégager des lignes de recherche pour élaborer une nouvelle didactique, au même titre que le morceau du jeu Lego permet de construire, reconstruire, modifier un monde en instance de finitude. En effet, le « professeur-concepteur » pourrait à l'aide de ces objets produire des messages pédagogiques qui ont un sens et offrant aux apprenants la possibilité de bel et bien construire leurs apprentissages.

Références

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Gilles Lavigne, Ph.D. Professeur titulaire durant 21 ans à la Télé-université de l'Université du Québec à Montréal (Canada); depuis 2002, chercheur titulaire à l'Instituto de Investigación y Desarrollo Educativo (IIDE) de la Universidad Autónoma de Baja California (Mexique); son expérience couvre divers champs: celui de l'administration comme Directeur de la recherche et des études avancées pendant huit ans; de la coopération internationale, comme chef de projet et directeur scientifique, avec plusieurs pays; comme enseignant, tant en présence qu'à distance; en recherche, tant dans sa ligne de formation, les études ethniques, que dans celle de la formation à distance. Se spécialise actuellement dans l'analyse des traces lors de l'emploi d'objets d'apprentissage en ligne ainsi que dans l'analyse critique des fondements théoriques de la pédagogie en ligne. Courriel: gilles@uabc.mx

ISSN: 0830-0445