Des ressources éducatives en licence libre, mais un accès payant pour les enseignants : Le paradoxe de Faq2Sciences

Matthieu Cisel et Nicolas Laudier

Vol 39, issue 1

https://doi.org/10.55667/10.55667/ijede.2024.v39.i1.1316

Résumé : Le projet du site de Faq2Sciences présente une banque de plusieurs milliers d’exercices en sciences naturelles, mathématiques et informatiques, alimentée par de nombreux établissements d’enseignement supérieur français. Il s’inscrit dans une logique de mutualisation des ressources éducatives libres (REL); une problématique qui a connu une recrudescence d’intérêt dans le contexte des confinements de la pandémie de COVID-19. Notre analyse quantitative des métadonnées associées à ces exercices montre que les licences d’œuvres en usage partagé sont prédominantes, alors même que l’accès complet à ces ressources implique pour les établissements concernés de s’affranchir d’un abonnement annuel. Nous nous basons sur cette étude de cas pour discuter d’un paradoxe analysé sous l’angle de la notion de contradiction, issue de la théorie de l’activité d’Engeström : le développement de ressources pédagogiques sur lesquelles sont apposées des licences libres qui ne demeurent pas moins relativement difficiles d’accès pour les enseignants, dans la mesure où des frais sont exigés par la structure organisatrice Unisciel. Loin d’être un cas isolé en France, ce projet révèle certaines des difficultés que rencontrent les établissements qui veulent concilier les impératifs économiques avec les idéaux des licences libres.

Mots-clés : Licence d’œuvre en usage partagé, Creative Commons, licence libre, ressource éducative libre (REL), modèle économique, éducation ouverte


A Paywall for Open Educational Resources: The Paradox of the Faq2Sciences Project

Abstract: Faq2Sciences represents an exercise database in natural sciences, mathematics, and computer science; it is designed by a consortium of French institutions of higher education. The mutualization of open educational resources (OER) at a national scale has seen a resurgence of interest during the lockdowns which took place during the COVID-19 pandemic, and discourses promoting open licenses for educational content have gained momentum. However, they are hindered by the fact that such initiatives need to be economically sustainable. In the present article, we use Faq2Sciences to illustrate this contradiction through a quantitative analysis of the metadata associated with the exercises. The fact that public institutions broadcast resources with open licenses, but ask for a fee to provide access to the database due to economic imperatives has become a growing paradox in France. As it hampers the development of a culture of open education, it needs to be addressed by the research community. Through the lens of Engeström’s activity theory, we analyze how content designers favor different types of Creative Commons licenses, while at the same time the overarching institution, Unisciel, requires a subscription to access the content.

Keywords: Creative Commons, Free License, Open Educational Resource, Business model, Open Education

This work is licensed under a Creative Commons Attribution 3.0 Unported License

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Problématique

Le paradoxe des projets promotionnels de ressources éducatives libres

Au sein de l’enseignement supérieur, les discussions sur la mutualisation des ressources éducatives libres (REL) semblent avoir gagné en visibilité à l’occasion des confinements vécus lors de la pandémie de COVID-19 (Lockee, 2021; Peimani et Kamalipour, 2021). Ces confinements ont en effet contraint les acteurs de ce secteur à repenser les approches de médiatisation et de médiation des ressources pédagogiques, ce qui a donné en France un nouveau souffle aux projets ayant comme ambition la mise en place de synergies entre les établissements (Bournaveas et coll., 2021). Lorsque l’on se penche sur la revue de la littérature centrée sur les REL (Mullens et Hoffman, 2023; Otto, 2019; Otto et coll., 2021), l’on constate que les réticences à utiliser des ressources pédagogiques produites par des collègues continuent d’être une question centrale (Baas et coll., 2022; Fadehan et Okiki, 2023), au même titre que celles du partage de ses propres ressources (Wang et coll., 2021).

Les REL correspondent à l’expression anglaise de Open Educational Resources (OER) (Hylen, 2006; Wiley, 2006). Elles peuvent être considérées comme l’un des avatars du mouvement dit de l’éducation ouverte (open education), qui prône l’ouverture des productions et des services éducatifs au plus grand nombre (Weller, 2013). Hylen (2006, p.1) a proposé une définition couramment mobilisée des ressources éducatives libres : « Les REL sont des supports d’apprentissage numérisés rendus accessibles librement et gratuitement aux enseignants, aux étudiants et aux autodidactes afin d’être utilisés et réutilisés pour l’enseignement, l’apprentissage et la recherche » [traduction libre]. Une licence libre ou ouverte permet la réutilisation d’une ressource sous certaines conditions sans demander l’autorisation des créateurs.

La revue de la littérature portant sur les REL permet de constater que les questions de propriété intellectuelle y sont relativement peu traitées, au sens où les licences de Creative Commons[1] (CC) (Kim, 2007; Wiley, 2006) et leurs utilisations ne constituent que rarement, en soi, un sujet d’étude. Or l’on peut aborder ces questions sous différents angles : celui de la connaissance que les enseignants ont de ces licences (Cisel, 2024), ou sous celui de la cohérence entre les licences mobilisées et la politique institutionnelle des sites d’hébergement (Amiel et Soares, 2016), sujet qui constitue le point central de cet article. Parmi les quelques études de cas notables, l’on peut citer le cas de la plateforme de cours en ligne ouverts massivement – CLOM (massive open online course – le MOOC) de France Université Numérique (FUN) (Mongenet, 2016). La grande majorité des cours qui y sont hébergés ont une licence libre de Creative Commons (Jacqmin, 2022), donc au contenu en principe difficile à vendre, mais le ministère de tutelle exige néanmoins de tendre vers une viabilité économique (C. Mongenet​, ​communication personnelle​, le ​30 juin 2022).

Malgré une politique d’incitation en faveur des licences libres (France Université Numérique, 2020), l’accès au contenu pédagogique est bloqué une fois passée la date officielle de clôture du cours, ce qui peut surprendre au premier abord au regard de l’idéal d’ouverture porté par les licences CC. Les universités et les Grandes Écoles qui désirent fournir au grand public un accès total et illimité aux contenus qu’ils déposent sur la plateforme doivent payer chaque année un abonnement de plusieurs milliers d’euros, alors même qu’elle encourage les enseignants engagés dans de tels projets à adopter des licences libres permettant des réutilisations gratuites. Cet abonnement institutionnel constitue l’un des fondements du modèle économique de FUN.

Cette contradiction, entre la mise en avant des politiques de licences libres et les comportements qui vont à l’encontre de ces mêmes politiques, par exemple pour des raisons économiques, a déjà été soulevé dans un travail mené sur les revues académiques de droit (Beatty, 2023); la littérature scientifique gagnerait selon nous à s’enrichir de travaux équivalents dans le champ éducatif, d’autant que le cas de la plateforme FUN décrit par Jacqmin (2022) n’est pas isolé. L’on peut en effet également citer Amiel et Soares (2016), qui montrent, sur la base de l’analyse de plusieurs dizaines de répertoires de REL latino-américains, un certain nombre d’incohérences en matière de choix de licence, entre les positions défendues sur les sites de ces répertoires d’une part, et les licences effectivement retenues par les enseignants contributeurs. Le cas qui nous intéresse ici est celui d’une Université numérique thématique (UNT) centrée sur les sciences naturelles et les mathématiques, nommée Unisciel (Barats, 2010). Nous allons chercher à caractériser, eu égard à la propriété intellectuelle, les contradictions qui entourent une banque en ligne dont cette UNT a la charge : Faq2Sciences.

Les UNT représentent en France des acteurs institutionnels de premier plan en matière de conception et de diffusion des ressources pédagogiques dans l’enseignement supérieur (Boyer, 2011). Sur le site de l’Université numérique (s. d.), une association composée des UNT, l’on peut lire que celles-ci « mettent à disposition et diffusent environ 30 000 ressources éducatives libres (REL), dont elles ont souvent financé en partie la production ».

Les UNT sont approximativement subdivisées en disciplines académiques. Elles ont joué un rôle central dans la création de REL en France. Par exemple, une est dédiée aux sciences fondamentales, Unisciel, notre cible, et une autre aux sciences de la santé et du sport, UNESS (Massou et Papi, 2020). Unisciel constitue un développement du projet de l’Université en ligne (s.d.) développé dans les années 1990 (Barats, 2010), dont la prédilection pour les licences libres est affichée sur le site : « L’ensemble des contenus […] est diffusé sous licence Creative Commons BY‑NC‑SA (paternité + pas d’utilisation commerciale + partage à l’identique : Le titulaire des droits autorise l’exploitation de l’œuvre originale à des fins non commerciales, ainsi que la création d’œuvres dérivées, à condition qu’elles soient distribuées sous une licence identique à celle qui régit l’œuvre originale) ».

Si les UNT ont joué un rôle important dans la mutualisation des ressources pédagogiques au sein de l’enseignement supérieur français, elles n’ont néanmoins pas échappé à un certain nombre de critiques sur la cohérence, l’obsolescence et la visibilité des contenus qu’elles finançaient (Delpech de Saint-Guilhem et coll., 2016). Face aux problèmes associés à l’atomisation de la production de ressources pédagogiques mutualisées – celle-ci étant souvent répartie en une multitude d’individus contribuant sur des objets et via des formats distincts –, Unisciel a développé des projets éditoriaux ambitieux, visant à coordonner le travail de nombreux auteurs et institutions.

Depuis sa création, cette UNT a notamment contribué à la production de CLOM (Hennedin et Beaugeois, 2017) et d’une banque d’exercices visant à outiller les apprentissages des étudiants pour les premières années de l’enseignement scientifique universitaire. Cette banque coconstruite par de multiples établissements d’enseignement ne porte pas de nom en particulier, elle a été utilisée dans plusieurs projets gérés par Unisciel. Faq2Sciences[2] a mis à la disposition des internautes ces exercices pour s’entraîner de 2015 à 2024. Dans le projet SOCLES[3], toujours actif au moment de la rédaction de cet article, les exercices sont accompagnés d’éléments de cours, avec l’idée d’inciter les établissements à se réapproprier l’ensemble afin de l’intégrer dans les curriculums.

À cette fin, il existe une version de cette banque non accessible au public, au format SCORM (Cisel, 2022), gage d’interopérabilité entre les plateformes (Massou et Papi, 2020). Cette dernière est accessible via le logiciel Opale[4] pour les établissements payant un abonnement annuel de plusieurs milliers d’euros. La norme SCORM permet une intégration facile des établissements dans les plateformes numériques comme Moodle. Plus récemment, un projet intitulé Maths pour les Sciences[5] a vu le jour, dans le but de mobiliser les exercices de mathématiques uniquement, au sein d’un logiciel fondé sur un algorithme de l’intelligence artificielle. Par souci de lisibilité, nous désignerons le projet sous « Faq2Sciences », car c’est là que l’on retrouve l’ensemble de la base de données, et uniquement la banque d’exercices que nous étudions, sans éléments de cours.

Unisciel (s. d.) défend une logique de licences libres pour les ressources qu’elle produit, sans pour autant imposer une direction, et invite les enseignants partenaires à suivre une telle démarche, comme le montre la lecture du site : « Spécifiez une licence qui déterminera les possibilités de réutilisation des questions. Vous pouvez en savoir plus sur les licences sur le site de Creative Commons, qui met à disposition des outils de choix de licence. […] Il est recommandé de choisir la même licence pour toutes les questions de votre projet ».

Il faut néanmoins faire avec Weller (2023) une distinction nette entre la licence libre, l’accessibilité au contenu des exercices (énoncés et réponse, etc.) et l’accessibilité à la banque d’exercices interopérables via le format SCORM. Même avec un accès à un contenu d’œuvres en usage partagé, tant qu’il n’y a pas d’accès à une banque d’exercices interopérable; il est très peu probable par exemple qu’un ingénieur pédagogique copie le contenu des énoncés un par un, car le nombre d’opérations élémentaires est décourageant – il se compterait en dizaines de milliers pour la banque qui nous intéresse pour cet article. L’interopérabilité permet de réaliser en quelques minutes ce qui nécessite plusieurs dizaines d’heures. La simple existence d’une alternative – solution d’intégration facilitée par une norme – constitue un élément supplémentaire pour décourager une tentative manuelle de réappropriation de la banque, en particulier de la part des universités qui peuvent en avoir besoin.

Comme le rappellent Delpech de Saint-Guillaume et coll. (2016) dans leur rapport sur les UNT, ce sont avant tout les universités, plus que les entreprises, qui sont demandeuses de ce type de bases, car elles s’insèrent facilement dans l’enseignement scientifique. Dans une remarque concernant les raisons qui sous-tendent la faiblesse de réappropriation des contenus, les auteurs soulignent qu’en l’absence de contrainte, par exemple liée à une évaluation dans le cadre de son cursus, il est peu probable qu’un étudiant se connecte sur Faq2Sciences, même s’il en a la possibilité. C’est avant tout via l’objectif de médiation d’un enseignant qui a intégré des contenus rendus obligatoires dans un cursus que des usages peuvent se développer de manière considérable. Or, sans démarche dédiée, les universités, non-partenaires d’Unisciel, n’ont pas automatiquement accès à la banque interopérable, même aux sections de licence CC.

Pour remplir leur mission, les universités doivent alors payer pour du matériel pédagogique qu’ils n’ont pas eu à produire, alors même que les licences associées sont censées permettre d’éviter cette situation. Voici donc une situation dans laquelle il est théoriquement légal d’utiliser gratuitement et sans autorisation un ensemble de ressources pédagogiques tant que l’on en cite l’auteur, tout en devant payer un abonnement pour pouvoir accéder auxdites ressources diffusées gratuitement. Ce paradoxe est au centre de cet article, au même titre que l’hétérogénéité des licences mobilisées par les enseignants partenaires. Quelques précisions sur les règles de la propriété intellectuelle peuvent dès lors se révéler utiles à la compréhension de notre propos.

Rappels sur les fonctions des différentes licences

Une licence CC0 permet de réutiliser un contenu sans même avoir à l’attribuer à son auteur ou à son établissement de rattachement et qui se rapproche de ce que l’on nomme le domaine public. La licence paternité CC BY, par contraste, impose seulement d’identifier l’auteur. Le SA de « Share Alike » que l’on retrouve par exemple dans la licence CC BY‑SA, signifie qu’il n’est pas possible d’imposer une licence plus restrictive sur un contenu dérivé de la ressource originale. L’apposition du logo NC pour non-commercial, comme pour une licence CC BY‑NC‑SA, est celle pour laquelle les interprétations peuvent être les plus ambiguës, car il existe des nuances quant à ce que l’on nomme une activité commerciale.

 Dans le monde anglo-saxon, il existe des précédents en matière de commercialisation par le secteur privé des banques d’exercices de licences Creative Commons qui n’avait justement pas opté pour des licences NC. On pourra citer en exemple le contenu des manuels d’Open Stax (Pitt, 2015), intégré dans le cadre du projet Alta de Knewton (Jones et Bomash, 2018). Le service offert par l’entreprise visant à rendre interactive la banque d’exercices créée dans le cadre du projet de manuels libres Openstax, était accessible aux étudiants – payant de manière individuelle – pour une quarantaine de dollars par apprenant et par an, alors que la contribution de l’entreprise à la création des exercices facturés dans ce cadre précis a été inexistante. Les paradoxes et les tensions en matière de propriété intellectuelle sont donc relativement fréquents, à plus forte raison lorsqu’ils n’impliquent que des acteurs appartenant au service public, et nous nous centrons ici sur ceux que l’on rencontre dans l’étude de cas de Faq2Sciences. Il convient maintenant de présenter un cadre théorique pour appréhender ces paradoxes.

Cadre théorique

La théorie de l’activité est un cadre interdisciplinaire qui puise ses racines dans les écrits de chercheurs soviétiques comme Vygotski et Leontiev. La communauté scientifique occidentale s’en est emparée par l’intermédiaire d’auteurs finlandais comme Engeström (1987, 2001) issu d’un pays à l’interface entre le bloc soviétique et le bloc occidental, et à l’origine de ce que l’on nomme la théorie de l’activité de troisième génération. En substance, Engeström (1987) représente l’activité par un modèle empirique constitué de six pôles en interaction, qui constituent alors le système de l’activité (SA) : le sujet (S), l’objet (O), les règles qui la régissent (R), la communauté (C), la division du travail (DT), et les instruments (I). Nous illustrons dans la section Résultats comment nous avons délimité notre système d’activité.

Un système d’activité évolue, notamment du fait des innovations technologiques ou de changements réglementaires, et comporte des contradictions porteuses de transformations. La recherche de dépassement des tensions associées notamment à ces évolutions constitue l’un des mécanismes à l’origine de l’évolution de l’activité. Engeström (1987) distingue ainsi plusieurs niveaux de contradiction. Les contradictions primaires correspondent aux tensions au sein d’un pôle donné. Par exemple, pour le pôle Instruments, différents artefacts peuvent entrer en tension si leur utilisation concomitante au sein d’une structure est source de problèmes techniques et organisationnels. Les contradictions secondaires découlent des tensions entre deux pôles. Une tension peut par exemple résider entre les règles à respecter et les instruments mobilisés au sein du système d’activité, qui imposent d’enfreindre certaines de ces règles.

Enfin, les contradictions tertiaires correspondent aux tensions entre les anciens et les nouveaux éléments d’un pôle donné, et les quaternaires correspondent aux tensions entre les systèmes d’activité distincts, comme entre l’équipe du projet Unisciel et les salariés d’un établissement partenaire. Ce cadre conceptuel est utilisé dans des contextes contrastés de l’analyse de dysfonctionnements au sein du cadre professionnel (Engeström, 2001) à l’utilisation de technologies éducatives en classe (Cisel et Baron, 2019) en passant par les dynamiques de partage de ressources pédagogiques au sein de l’enseignement supérieur (Cox, 2013).

Questions de recherche

En nous centrant sur le projet Faq2Sciences proposé par l’UNT nous nous proposons de décrire, dans ce qui constitue une étude de cas, le paradoxe entre les licences libres d’utilisation et la fermeture de l’accès à la banque de format SCORM à travers une première série de questions de nature descriptive.

Nous allons voir que les choix retenus en matière de propriété intellectuelle sont porteurs d’un certain nombre de contradictions, que nous nous proposons d’appréhender sous l’angle de la théorie de l’activité dans une seconde question. Celle-ci est nécessaire pour dépasser une approche uniquement descriptive de la caractérisation du répertoire :

Méthodes

Au moment de cette étude et du fait du règlement d’un abonnement annuel, notre établissement d’enseignement avait accès à l’intégralité des services proposés par Unisciel avec notamment l’accès à la banque d’exercices sur le logiciel Opale, qui favorise la standardisation de la conception de ressources via l’adoption de normes SCORM. Nous fournissons un exemple d’exercice (figure 1) du site SOCLES. Grâce à SCORM, les exercices sont stockés dans un format toujours identique, ce qui facilite l’extraction à grande échelle des métadonnées associées à ces ressources. Le téléchargement a eu lieu le 22 décembre 2022 et porte sur 4 261 exercices. Pour chaque élément, nous avons collecté les métadonnées suivantes avec un programme écrit en R 4.0 :

A screenshot of a computer

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Figure 1. Illustration d’un exercice de mathématiques sur Faq2Sciences – Licence CC BY (Université de Limoges)

Le traitement de fichiers au format XML est réalisé par l’intermédiaire de la librairie xml2, qui permet de cibler précisément l’information jugée pertinente. Lorsqu’aucune information n’est disponible eu égard à la propriété intellectuelle, nous avons attribué la licence propriétaire, nommée « copyright » dans la littérature anglo-saxonne – nous emploierons les deux termes. En effet, c’est la licence qui s’applique par défaut lorsqu’aucune indication sur la propriété intellectuelle n’est fournie. Certes, il est possible que les contributeurs n’aient pas réalisé ici un choix conscient, et que l’absence d’une apposition explicite de licence Creative Commons soit le fait d’un oubli ou d’une méconnaissance des règles de la propriété intellectuelle. Toutefois, les conséquences sont en définitive les mêmes pour un choix conscient de licence propriétaire; or nous raisonnons dans cet article davantage en termes de conséquences que de causalité.

La méthodologie associée au présent travail relève plus globalement d’une lignée des travaux proposant des analyses quantitatives de caractéristiques des répertoires de ressources pédagogiques (Ochoa et Duval, 2009). Lorsqu’il s’agissait de production de graphiques, nous avons à nouveau mobilisé R 4.0. La démarche a ici été appliquée à 4 260 exercices; pour 1 176 d’entre eux, l’information sur l’établissement était manquante. La banque contient différents types d’exercices autocorrectifs, dont principalement des questions à choix multiples (QCM) et à choix uniques (QCU).

Résultats

Analyse quantitative des métadonnées

La licence propriétaire est la plus représentée au sein de la base de données, avec 41 % des éléments, suivie par la licence CC BY‑NC‑SA (34 %) et la licence CC BY (24 %), tandis que la licence CC0 (1 %) portée exclusivement par la Sorbonne Université et la licence CC BY‑NC (0,1 %) sont particulièrement minoritaires. Lorsqu’il s’agit des thématiques portées, les disciplines associées aux exercices sont représentées de la manière suivante dans la base : 45 % pour les mathématiques, 1 % pour l’informatique, 25 % pour la biologie, 1 % pour la géologie, 13 % pour la physique et 14 % pour la chimie.

Les choix de licences varient d’une discipline à l’autre. Ainsi, les ressources relevant de la biologie sont dominées par la licence CC BY (62 %) (figure 2); viennent ensuite la licence CC BY‑NC‑SA (21 %) et la licence propriétaire (17 %). La licence CC BY domine également pour la chimie (53 %), la licence propriétaire couvrant les 47 % restant. Les licences CC BY‑NC‑SA et CC BY dominent respectivement pour la géologie et l’informatique, mais le nombre d’exercices associés est limité à quelques dizaines. Enfin, la licence CC BY‑NC‑SA domine en mathématiques (56 %), mais la licence propriétaire représente l’essentiel des exercices restants. La grande majorité des ressources en physique sont en licence propriétaire (78 %), une minorité en licence CC0 (8 %), et le reste en CC BY‑NC‑SA. Le constat que l’on peut tirer de cet état de fait est qu’il n’y a pas au sein de la banque d’exercices d’Unisciel une homogénéité de pratiques en matière de propriété intellectuelle. Chaque groupe de contributeurs applique la licence de son choix, sans coordination apparente entre les enseignants d’une même discipline, ou, comme nous allons le voir, du même établissement.

Il existe un fort recouvrement entre la question de la discipline et celle de l’établissement, car la plupart des universités partenaires du projet ne produisent des contenus que dans une seule discipline. Il existe néanmoins des exceptions parmi les plus gros contributeurs, avec en particulier l’Université de Nice Sophia-Antipolis, à l’origine de 161 exercices de biologie, 181 de chimie, 39 de géologie, et 146 d’informatique. Ce cas demeure exceptionnel, l’Université de Limoges, également l’un des principaux partenaires, ne produit par exemple que des exercices de mathématiques.


Figure 2. Distribution, au sein de la banque d’exercices Faq2Sciences d’Unisciel, des choix en matière de licence selon la discipline associée à l’exercice

Nous constatons au tableau 1 des différences de pratiques au sein d’un même établissement, du moins lorsque celui-ci contribue de manière importante. Par exemple, même au sein du corps enseignant en mathématiques de l’Université de Limoges, investie essentiellement dans cette matière, il existe une dichotomie entre d’une part ceux qui choisissent la licence CC BY-NC-SA, et ceux, certes minoritaires, qui préfèrent une licence propriétaire.

Tableau 1.
Choix effectués en matière de propriété intellectuelle pour les exercices fournis par les principaux établissements contributeurs du projet (N = 3 084).
Etablissement BY BY-NC BY-NC-SA Proprietaire CCO
1 Aix-Marseille Universite 0 0 74 0 0
2 INSA Lyon 0 0 0 161 0
3 IREM 0 0 0 267 0
4 Projet Castor 12 0 0 0 0
5 Sorbonne Universite 0 0 0 3 45
6 Unisciel 121 0 0 1 0
7 Universite de Bordeaux 0 0 71 0 0
8 Universite de Bourgogne 23 0 0 0 0
9 Universite de Bretagne Occidentale 89 0 0 0 0
10 Universite de Lille 0 0 703 0 0
11 Universite de Limoges 0 0 234 154 0
12 Universite de Lorraine 26 0 0 0 0
13 Universite de Lyon 1 113 0 0 0 0
14 Universite de Nice Sofia-Antipolis 181 0 346 0 0
15 Universite de Strasbourg 138 3 0 4 0
16 Universite de Technologie de Compiegne 124 0 0 0 0
17 Universite Jean Monnet 182 1 0 8 0

Le fait que les licences propriétaires soient particulièrement représentées au sein de la banque, à défaut d’être majoritaires, est en cohérence avec le modèle d’abonnement qui sert de base au financement de cette initiative, contrairement aux licences de Creative Commons, qui sont majoritaires et en contradiction avec ce modèle. Certes, le choix de nombreux enseignants d’apposer ces licences est en adéquation avec la mission affichée de mutualisation des REL, au cœur des universités numériques thématiques (Boyer, 2011), mais il contredit d’une certaine manière le choix d’Unisciel de fonctionner par abonnement. C’est là l’un des paradoxes fonctionnels de la banque d’exercices; il est nécessaire de payer pour accéder à un contenu dont on affiche qu’il est accessible et utilisable gratuitement en grande partie.

Une modélisation en fonction de la théorie de l’activité

Dans le cadre de cet article, nous nous proposons de délimiter le système d’activité correspondant à Unisciel comme suit, le tout étant synthétisé dans la Figure 3 : le pôle Sujet (S) est représenté par l’équipe qui, au sein d’Unisciel, est responsable du développement des projets de Faq2Sciences et de SOCLES, et donc de la mutualisation et de l’édition des ressources pédagogiques. L’objet (O) de l’activité consiste à mutualiser, à l’échelle des universités françaises, les ressources pédagogiques de type exercices qui relèvent des disciplines scientifiques. La Communauté (C) est représentée par les enseignants des différentes universités responsables de la conception des ressources. En matière de division du travail (DT), Unisciel se charge de l’archivage et de l’édition des exercices produits par ces enseignants, ce qui comprend le contrôle de la qualité et l’établissement des lignes directrices de contrats pour rémunérer les enseignants partenaires étant les producteurs.

Le pôle Instruments (I) est représenté notamment par les différents outils mobilisés par Unisciel pour assurer la diffusion des ressources mutualisées : Faq2Sciences, SOCLES, et la base de données sur OPALE au format SCORM, pour faciliter l’intégration des banques d’exercices entre les acteurs. Enfin, le pôle Règles (R) comporte les différents principes qui gouvernent le fonctionnement d’Unisciel : la promotion des licences libres et de libre diffusion, le fait que l’on ne puisse pas imposer une licence en particulier aux enseignants partenaires, et la nécessité de générer des revenus pour assurer la pérennité des projets éducatifs portés par l’Université numérique thématique (UNT).

L’analyse des données nous amène à identifier plusieurs contradictions qui traversent le système d’activité, dont au moins deux contradictions primaires et une secondaire (figure 3). Les premières se situent au niveau du Pôle Règles, avec la contradiction entre la promotion des licences libres et la nécessité de générer des revenus au travers notamment d’abonnements de la part des établissements. Il s’agit là d’une contradiction dans la mesure où l’application pleine et entière des principes de licences libres signifie minimalement, un accès non entravé et gratuit aux fichiers à la banque d’exercices, y compris au format SCORM, et ce sans condition d’abonnement.

A diagram of a triangle

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Figure 3. Une modélisation du système d’activité d’Unisciel selon la théorie d’activité d’Engeström (1987). Une flèche bleue symbolise une contradiction primaire, la flèche orange une contradiction secondaire.

Il existe ensuite une tension, toujours modélisée comme une contradiction primaire, entre le fait qu’Unisciel ne peut imposer à ses partenaires le choix d’une licence – ce qui se traduit par la diversité des licences choisies; et le fait qu’il promeuve les licences de Creative Commons – c’est d’ailleurs apparent lorsque l’on étudie les licences des contenus que l’institution produit : la simple paternité (CC BY) domine dans les exercices téléversés par Unisciel dans la banque, avec donc un niveau d’ouverture particulièrement élevé qui contraste, statistiquement parlant, avec les choix des autres partenaires. Bien que l’UNT montre l’exemple par la cohérence entre son discours et ses pratiques, elle ne dispose pas, du fait de la coexistence de ces deux règles, des leviers nécessaires à l’homogénéisation des pratiques pour l’ensemble des enseignants contributeurs. Si les deux règles ne sont pas incompatibles, elles entrent néanmoins en tension. Cette hétérogénéité de situations résulte également d’une contradiction secondaire entre le pôle Communauté et le pôle Règles, qui constitue le propos conclusif de cette section.

Si la possibilité d’ignorer les incitations à appliquer des licences libres ou de libre diffusion offre aux enseignants partenaires l’opportunité d’effectuer leurs propres choix en matière de propriété intellectuelle, le fait de se saisir ou non de cette opportunité constitue un phénomène à part entière, qu’il convient d’analyser. Manifestement, délibérément ou non, une partie importante des enseignants ignore l’injonction aux licences CC pour préférer des licences propriétaires, même si cela correspond à 41 % des exercices. Dans la modélisation que nous proposons en Figure 3, l’existence de décisions contrastées au sein des partenaires du projet relève d’une forme de contradiction entre le comportement et les perspectives de certains enseignants d’une part, et la règle de promotion des licences libres d’autre part, donc une contradiction secondaire. L’existence de contradictions est consubstantielle de tout système d’activité. Comme nous le soulignions en introduction, la manière dont les différents acteurs en présence peuvent être amenés à dépasser, ou du moins à tenter de dépasser ces contradictions détermine de quelle manière évolue ou non le système d’activité, considération que nous approfondissons en discussion.

Discussion

Dans la discussion de cet article, nous revenons plus en détail sur la signification des différentes contradictions que nous avons modélisées précédemment, en mobilisant d’une part certains principes de base de la propriété intellectuelle, et d’autre part des résultats obtenus dans plusieurs travaux ancrés empiriquement.

Revenons dans un premier temps sur la première contradiction primaire que nous avons relevée au niveau du pôle Règles, entre impératifs économiques et promotion des licences libres. Rappelons que l’apposition d’une quelconque licence CC signifie, à partir du moment où une université parvient techniquement à accéder à la base d’exercices, que l’ensemble des ressources relevant de cette licence peut être mobilisé et même diffusé sans payer d’abonnement. Néanmoins, en l’absence de cet abonnement, il est impossible techniquement d’accéder à la banque au format SCORM, sans disposer d’un accès dédié. On touche là au cœur du paradoxe. Le fait que les licences CC soient majoritaires permet théoriquement de saper en partie le modèle économique mis en place. Il suffirait à un individu de laisser de côté la partie de la base en licence propriétaire, et de téléverser sur un site l’ensemble des exercices en licence CC, y compris au format SCORM. D’autres établissements pourraient alors profiter de la banque tout en réalisant des économies, puisqu’il n’y aurait pas d’abonnement à payer auprès d’Unisciel, ou du moins, pas pour ce service précis – l’UNT offre d’autres services.

Si l’on s’en tient aux règles de la propriété intellectuelle, il faudrait, pour empêcher ce processus, argumenter du fait que seul le contenu de l’exercice (énoncé et réponses éventuelles) est soumis à un régime de licence libre : lorsque celui-ci est présenté au format SCORM, le caractère ouvert ne s’appliquerait pas. S’il n’existe pas à notre connaissance de jurisprudence portant spécifiquement sur ce type de situation, l’on peut arguer du fait que la défense d’une telle position serait source de contradictions indépassables pour l’UNT, car trop visibles. En un sens, le fait de limiter simplement sur le plan technique l’accès aux exercices au format interopérable (comprendre au format SCORM), en maintenant malgré cela l’accès ouvert aux énoncés sur les sites SOCLES ou Faq2Sciences suffit à empêcher une diffusion de la banque, notamment entre établissements d’enseignement supérieur.

Se pose la question de l’incompatibilité du caractère payant de la banque avec le fait de porter les valeurs d’accès libre; puisque cet accès aux éléments des énoncés et réponses est maintenu gratuit et sans entrave. On touche là à l’une des ambiguïtés les plus saillantes du terme « ouvert », de « l’éducation ouverte » où s’opère un glissement de la notion de licence libre vers celle de libre accès (aux énoncés, par exemple), glissement qui n’a pas manqué d’être souligné par Weller (2013) dans un article au titre évocateur : Battle for open. Une acception stricte de la notion de licence libre voudrait que la banque au format SCORM soit accessible, et non seulement les énoncés, pour que les droits associés à la licence puissent être appliqués.

En limitant l’accès à la banque au format interopérable – on ne trouve pas de mention de celle-ci sur les sites de Faq2Sciences ou de SOCLES –, la contradiction intrinsèque entre la mise en place d’un modèle économique lié au libre est ainsi, en un sens, invisibilisée ou atténuée ce qui permet au système d’activité d’être moins contraint d’évoluer sous la pression de tentatives de dépassement des tensions. Il ne nous appartient pas de déterminer si cette invisibilisation est intentionnelle ou non; une enquête complémentaire serait nécessaire pour se positionner sur cette question.

Abordons maintenant les conséquences de la deuxième contradiction relevée au niveau du Pôle Règles, entre promotion des licences libres, et agentivité laissée à chaque concepteur de ressources qui a, ainsi, la possibilité de retenir la licence de son choix. Comme le montre l’analyse des métadonnées, cette contradiction débouche sur des situations contrastées en matière de propriété intellectuelle, éclectisme qui, si l’on partage l’analyse d’auteurs comme Amiel et Soares (2016), nuit à la lisibilité des potentialités offertes par la banque d’exercices. En effet, cette dernière ne peut plus être prise comme un ensemble homogène, puisque des règles de propriété intellectuelle différentes s’appliquent aux diverses sections de la banque d’exercices. On retrouve les problèmes d’hétérogénéité relevés par Jacqmin (2022), dans son étude des choix faits pour les cours de la plateforme FUN MOOC. Les conséquences ne sont néanmoins pas comparables avec le cas de Faq2Sciences.

Dans le cas de FUN MOOC, une licence s’applique à l’intégralité des contenus d’une formation, qui forme un tout cohérent, de sorte qu’un enseignant s’appropriant celle-ci n’est pas dans l’obligation de devoir adapter ses pratiques de réutilisation à la composante du cours qu’il mobilise. À l’inverse, dans le cas de Faq2Sciences, c’est l’ensemble des exercices d’une thématique qui forme un tout cohérent. Dès lors, la coexistence de licences distinctes au sein d’une même discipline peut imposer à une personne qui se réapproprierait la banque d’exercices de fractionner les usages sur la base des licences retenues. Ainsi, tous types d’utilisations pourraient être autorisés pour la série d’exercices en licence CC BY portant sur de la biologie moléculaire, par exemple. En revanche, cette liberté pourrait être considérablement restreinte dans le cas d’une série sur la biologie cellulaire, car la licence propriétaire impose en principe de subdiviser la banque.

Fréquente dans toutes les disciplines, la décision de ne pas suivre la direction impulsée par l’UNT, en n’optant pas pour une licence CC, est pointée par Amiel et Soares (2016) comme nuisant à la cohérence et à la cohésion des répertoires de REL. Bien que leur travail se voulait athéorique, les auteurs avaient d’ailleurs employé le terme de contradiction pour désigner ce décalage. Nous partageons leur analyse, mais appréhendons ce terme de contradiction dans le cadre de la théorie de l’activité d’Engeström (1987), pour désigner ici la contradiction primaire qui prévaut entre deux éléments du pôle Règles : le fait que les responsables du répertoire n’aient pas les moyens de faire appliquer à leurs partenaires les choix de propriété intellectuelle qu’ils s’appliquent à eux-mêmes.

Une telle agentivité laissée aux enseignants partenaires n’est pas sans conséquences du point de vue des utilisations potentielles de la base d’exercices – nous l’avons pointé. Néanmoins, ces conséquences ne deviennent effectives qu’à partir du moment où les enseignants partenaires profitent de cette agentivité pour s’écarter des choix de propriété intellectuelle effectués par l’UNT. Cette considération nous amène à la dernière contradiction de notre analyse, entre les pôles Communauté et le pôle Règles – les enseignants partenaires ignorants ou n’approuvant pas selon les situations, la promotion des licences libres et donc la création de ressources éducatives libres. Les résultats d’une enquête menée par nos soins à l’échelle nationale et ayant obtenu près de mille réponses (Cisel, 2024) sont éclairants à cet égard : ils viennent compléter ceux obtenus par Jacqmin (2022) sur le catalogue de FUN. La majeure partie des répondants était favorable au partage de leurs ressources, mais n’avait jamais entendu parler des licences libres, tandis qu’une minorité d’entre eux, non négligeable dans une discipline comme le droit, les connaissaient, mais en refusaient l’utilisation.

Il est vraisemblable que l’échantillon d’enseignants contribuant à Faq2Sciences ne soit pas représentatif des universitaires français eu égard à la question des licences libres et du partage de REL – le simple fait de contribuer à un répertoire de ressources suggère une forme de sensibilité à ces questions. L’on peut néanmoins émettre l’hypothèse selon laquelle les configurations révélées dans les enquêtes – des individus en majorité enclins à partager leur travail, mais ignorant l’intérêt que présentent les licences libres en matière de diffusion de ressources pédagogiques – se retrouvent parmi les partenaires de l’UNT. Une formation plus approfondie de ces enseignants aux questions de propriété contribuerait sans doute à atténuer cette contradiction secondaire en faisant chuter la proportion de licences propriétaires, mais celle-ci ne permettrait vraisemblablement pas de résoudre intégralement la question de l’hétérogénéité des licences CC si l’on se rapporte aux résultats de Jacqmin (2022).

L’auteur montre que, loin de n’être qu’une question de niveau d’information, les choix effectués entre licences CC relèvent de considérations culturelles, des contrastes frappants existant entre disciplines. Ainsi, les cours relevant des sciences économiques optaient statistiquement plus fréquemment pour les licences CC les plus fermées (avec NC), par contraste avec leurs collègues de biologie, pour ne prendre que cet exemple. Pas plus qu’Unisciel, les établissements contribuant de manière importante comme l’Université de Nice Sofia Antipolis ne cherchent à imposer un choix unique à leurs enseignants. En l’absence de mécanisme contraignant, les différences culturelles, calquées ou non sur les disciplines, signifient une perpétuation de l’éclectisme dans les choix effectués en matière de propriété intellectuelle, et donc de cette difficulté qui limite l’exploitation de celle-ci, en imposant des règles distinctes pour des sous-ensembles de la banque d’exercices. Tant que persiste la règle du libre arbitre des enseignants, cette contradiction est consubstantielle du système d’activité.

Tout au long de cette discussion, nous avons pointé un certain nombre de tensions qui traversent le système d’activité. Si nous nous sommes cantonnés à la théorie d’Engeström (1987) exclusivement à des fins d’analyse de ces tensions, celle-ci peut également servir de cadre à la modélisation des évolutions potentielles du système. Nous renvoyons aux recherches sur le Laboratoire du Changement (Bligh et Flood, 2015; Engeström et coll., 1996) pour des travaux théoriques ou empiriques sur la question. Pour mémoire, ce sont les tentatives de dépassement des contradictions qui font se transformer le système d’activité, car celles-ci créent ce qu’Engeström (1987) nomme un état de besoin, qui constitue un stimulus à même de pousser des individus à chercher une résolution au conflit. Dans le cas d’Unisciel, c’est a priori au niveau du pôle Règles que des évolutions sont nécessaires pour voir s’atténuer les contradictions que nous avons relevées. S’ils ont pu coexister jusqu’à présent, les différents principes et règles qui régissent le fonctionnement d’un projet comme Faq2Sciences semblent entraver son expansion de par leur caractère contradictoire.

En abandonnant la règle de génération de revenus et en mettant à disposition la banque au format SCORM dans des répertoires de ressources visibles, sans condition d’abonnement, les réutilisations des éléments en contexte pédagogique pourraient s’accroître considérablement. Néanmoins, Unisciel ne constitue pas ici le seul décideur, et en cette période de déficit public, l’État français tend à mettre la pression sur les composantes qui disposent d’une certaine autonomie pour qu’elles soient le plus indépendantes possible financièrement parlant. Les UNT ne font pas exception. En abandonnant la règle de laisser-faire quant aux choix de licences, pour imposer les licences de Creative Commons, Unisciel pourrait cependant construire une banque homogène du point de vue de la propriété intellectuelle, si tant est qu’une telle démarche soit possible, banque dont la réappropriation serait ainsi facilitée. L’évolution effective du système d’activité dépend en partie de l’intensité des tensions qui le traversent, comme la contradiction secondaire avec le pôle Communauté.

Néanmoins, la pérennité de la situation actuelle – l’ambiguïté de Faq2Sciences depuis près d’une décennie, entre ouverture et fermeture de l’accès aux ressources, voir la mise hors ligne du site – laisse à penser que les tensions en jeu ne suffisent pas à faire évoluer les règles relatives à la propriété intellectuelle et à l’accessibilité, malgré des transformations sur le plan technologique observées avec l’émergence du projet Maths pour les Sciences. Reste à déterminer si une contradiction quaternaire, issue donc de l’interaction avec des acteurs externes, est susceptible de faire évoluer à terme les tensions que nous avons modélisées dans le cadre de cet article, au point de rendre la situation que nous avons décrite trop conflictuelle pour subsister en l’état.

Conclusion

L’une des principales limites associées à cette étude de cas réside dans l’impossibilité de croiser nos résultats avec les perspectives d’enseignants ayant conçu les ressources. Si les données à notre disposition permettent d’envisager les conséquences des choix effectués en matière de licence de diffusion, puisqu’une bonne connaissance du code de la propriété intellectuelle suffit à cet effet, elles ne nous autorisent pas en revanche à inférer sur les motivations sous-tendant ces choix.

En guise de perspective à cette recherche, nous proposons d’étudier sous l’angle d’une recherche qualitative, les mécanismes qui ont conduit au paradoxe que nous avons documenté dans cet article. Les individus participant à divers titres dans le projet, sont vraisemblablement pris entre d’une part la volonté de voir les productions de Faq2sciences diffusées au plus grand nombre en licence de Creative Commons et d’autre part les impératifs économiques qui s’imposent à tout projet éducatif, fut-il subventionné. Comment perçoivent-ils cette double contrainte, et comment cherchent-ils à dépasser les contradictions qu’elle génère?


Endnotes

  1. https://creativecommons.org/

  2. https://www.faq2sciences.fr/. On notera que le site est maintenant hors ligne, depuis avril 2024.

  3. https://socles3.unisciel.fr/

  4. https://doc.scenari.software/Opale@4

  5. https://maps.unisciel.org/

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Authors

Matthieu Cisel is a researcher in the field of Open Education. During his PhD, defended in 2016, he focused on MOOCs and since then has undertaken significant research activity on Open Educational Resources (OER). Following quantitative and mixed methods approaches, Matthieu investigates instructors’ motivation to share their digital resources, as well as the paradoxical policies of French institutions in the field of OER.

Nicolas Laudier is a junior Data Scientist. During his studies at CY Tech, he worked extensively on the field of open education. He was trained in the field of learning analytics in open education, and developed a string of websites aimed at evaluating students' skills in the field of STEM. He now works in the field of analytics for marketing.