VOL. 30, No. 1
L’article présente la synthèse d’une recherche empirique qualitative réalisée auprès de participants au Mooc (Massive Open Online Course) francophone intitulé « Internet Tout Y est Pour Apprendre, saison 1 » (Itypa 1). Ce Mooc de type « connectiviste » - ou C-Mooc - visait à les aider à se saisir et à exploiter les outils Internet et du Web social pour apprendre. La recherche portait sur les stratégies mises en œuvre par ces participants pour diriger eux-mêmes leurs activités d’apprentissage par et dans ce Mooc. Les résultats montrent le rôle significatif joué par plusieurs facteurs motivationnels et processus d’autorégulation. Ces résultats contribuent à apporter quelques éléments de réponse à la problématique de l’autodirection des participants à un Mooc de type connectiviste.
The article presents the synthesis of a qualitative empirical research conducted with participants to French-speaking Mooc entitled “Itypa 1” (Internet Tout Y Pour Apprendre, first season). This connectivist Mooc aimed at helping them to grasp and to exploit themselves the Internet tools and social web to learn. The research concerned the strategies implemented by these participants for self-directed their activities of learning. The results show the significant role played by several motivational factors and by specific processes of self-regulation. These results provide some elements of answer to the problematic on the self-direction of participants involved in a C-Mooc.
This work is licensed under a Creative Commons Attribution 3.0 Unported License.
Au milieu de la précédente décennie, le « connectivisme » a été impulsé au Canada anglophone à partir des travaux de trois chercheurs en technologie éducative, à savoir Siemens, Downes et Cormier. Ces travaux portaient sur l’apprentissage numérique et connecté en réseaux (Siemens, 2004). Ils ont fondé les bases d’un nouveau courant éducatif : le connectivisme. Ce courant se matérialise par une configuration spécifique d’environnement médiatisé d’apprentissage communément qualifié de Mooc (Massive Open Online Course) de type « connectiviste » ou C-Mooc (Bell, 2011; Downes, 2012; Kop et Fournier, 2010; Kop et Hill, 2008; Kop, 2011; Ravenscroft, 2011; Siemens, 2004; 2011).
La recherche empirique à l’origine de cet article portait sur les stratégies d’autodirection développées par des participants adultes au premier C-Mooc francophone, intitulé « Itypa 1 » (Internet Tout Y est Pour Apprendre, saison 1) et lancé en France en octobre 2012 1. L’article argumente tout d’abord une des distinctions fondamentales entre un C-Mooc et un X-Mooc. Une telle distinction permet notamment de lever toute ambiguïté entre ces deux configurations de Mooc et de bien situer le contexte de l’étude réalisée. Puis, l’article décrit succinctement les principes de fonctionnement du C-Mooc « Itypa 1 ». Il présente ensuite le cadre théorique mobilisé pour cette recherche en l’occurrence, l’approche socio-cognitive de l’autodirection (Carré, 2003a; Jézégou, 2010a, 2013; Schunk et Zimmerman, 2007; Zimmerman, 1989; 2002). Il précise la méthodologie d’analyse qualitative matricielle des données recueillies à l’aide d’entretiens individuels semi-directifs auprès d’un panel de 27 participants volontaires. Enfin, l’article présente les résultats obtenus, en décrivant plus spécifiquement les principales dynamiques motivationnelles et les processus d’autorégulation à l’œuvre dans les stratégies d’autodirection de ces participants. Pour terminer, il souligne que, bien que d’une portée épistémique limitée, ces résultats contribuent à apporter quelques éléments de réponse à la problématique de l’autodirection des participants à un Mooc de type connectiviste.
La recherche synthétisée dans cet article s’écarte des débats politiques, socio-économiques et éducatifs quant aux enjeux liés au développement des Mooc en général ou encore à leur ingénierie. Elle propose une toute autre perspective en invitant à orienter le regard vers le vécu des participants engagés dans des Mooc de type connectiviste. Ce regard porte plus spécifiquement sur leurs stratégies d’autodirection par et dans un C-Mooc, tel que notamment « Itypa 1 ».
Au sens large, un Mooc renvoie à une formation de masse à distance s’appuyant sur les technologies numériques et du web social. Le qualitatif « open » est communément attribué à « massive course » pour notamment signifier la gratuité d’accès à un très grand nombre de participants. Au plan théorique, un tel qualificatif peut, en s’appuyant sur la définition conceptuelle de « l’ouverture en formation » proposée par Jézégou (2005), trouver une justification dans les « libertés importantes de choix et d’action offerts par ce type d’environnement d’apprentissage afin que l’apprenant puisse exercer un contrôle sur sa formation et ses apprentissages ». Cette définition permet d’opérer une distinction fondamentale entre un C-Mooc et un X-Mooc, cela en fonction du degré d’ouverture qu’ils présentent respectivement.
Dans un C-Mooc, les participants peuvent être « auteurs » de leur formation, non seulement en exerçant un contrôle sur les conditions liées à leurs apprentissages en fonction d’objectifs qui leur sont propres, mais aussi en décidant de produire - individuellement et/ou collectivement - des ressources ou des contenus mutualisés d’apprentissage ou encore de s’engager dans des démarches de réflexion collective, de collaboration/coopération à distance dans le cadre de micro-projets visant un objectif partagé. Compte tenu des grands principes qui régissent le fonctionnement d’un C-Mooc, ce type de Massive Open Online Course peut être considéré comme un environnement éducatif hautement ouvert : il offre aux participants de grandes libertés de choix et d’action pour diriger eux-mêmes leur formation (Jézégou, 2010b).
Un X-Mooc est davantage hétéro-structuré par ses concepteurs. Cette hétéro-structuration se manifeste par la fixation d’objectifs prédéterminés, la mise à disposition de ressources dont le contenu est défini à l’avance ou encore par des modalités préétablies d’évaluation des apprentissages réalisés en vue d’une certification. Un X-Mooc présente un moindre degré d’ouverture qu’un C-Mooc, car les libertés de choix et d’actions des participants y sont bien plus réduites (Jézégou, 2010b). De plus, il est régi par une logique industrielle de transmission descendante des savoirs, une pédagogie traditionnelle centrée sur les « contenus » et mobilisant peu d’acteurs éducatifs (formateurs et/ou enseignants). De tels principes de fonctionnement permettent notamment de limiter les investissements et les coûts de fonctionnement de ce type de formation de masse. Au regard de ces caractéristiques générales et selon la définition théorique de « l’ouverture » se pose la question de la pertinence du qualificatif « ouvert » attribué à ce type de « massive course ».
Comme souligné précédemment, le contexte de la recherche à l’origine de cet article ne se situe pas dans cet univers des X-Mooc mais dans celui des Mooc de type « connectiviste » ou C-Mooc.
« Itypa 1 » 2 fut le premier Mooc francophone. Ce C-Mooc a été initié, conçu puis animé par une équipe de quatre personnes (Gilliot, Grolleau, Magnin et Vaufrey, 2013), en dehors de toute commande et cadre institués. Ces personnes exerçaient par ailleurs leurs activités professionnelles, soit dans l’enseignement supérieur soit dans le domaine de la formation continue. 3 Dans ses principes généraux de fonctionnement, « Itypa 1 » est similaire au C-Mooc anglophone PLENK lancé en 2008 par Siemens et Downes (2008) au Canada. L’objet traité est également très proche puisque ce Mooc anglophone portait sur le Personal Learning Environment, Networks and Knowledge (PLENK) et visait également à aider les participants à se saisir et à exploiter les outils Internet et du Web social pour apprendre. « Itypa 1 » a démarré en octobre 2012 pour une durée de dix semaines consécutives. Il s’est appuyé sur une infrastructure technique minimale, sous la forme d’un site considéré comme un point de repères et de rencontres pour les inscrits. Ce site précisait les modalités du cours, permettait aux personnes intéressées de s’inscrire, de se présenter et d’échanger sur un forum. Chaque inscrit était invité, par l’équipe d’animation, à contribuer au Mooc, notamment via un blogue ou tout autre outil de son choix lui permettant d’approfondir et de partager ses réflexions. Les contributions des participants étaient agrégées dans le site du Mooc et relayées par ce site. Chaque semaine abordait une thématique différente, inscrite dans une logique générale de progression définie préalablement par l’équipe d’animation. Comme thématiques hebdomadaires figuraient : la recherche et la veille documentaire sur Internet, l’apprentissage social ou collectif, la découverte de communautés d’apprentissage ou encore la construction d’un réseau en ligne.
La thématique hebdomadaire était lancée à partir du site « Itypa 1 » en proposant quelques articles et vidéos d’amorçage, des activités le plus souvent formulées sous la forme de questions comme autant de pistes de réflexion à partager. 4 Une lettre, élaborée par l’équipe d’animation, était parallèlement adressée quotidiennement par courriel à chaque participant : elle présentait les contributions individuelles et/ou collectives de participants, les ressources et les outils partagés 5 ainsi que les conversations jugées intéressantes et actives dans les forums. Elle facilitait ainsi le repérage, la mutualisation et la capitalisation des travaux produits en lien avec les activités proposées initialement par les animateurs et le plus souvent enrichies par les participants eux-mêmes. Ces participants entraient principalement en contact grâce aux informations fournies quotidiennement dans cette lettre quotidienne. De plus, une réunion Web synchrone hebdomadaire leur était également proposée. Elle portait sur le thème de la semaine, tout en faisant intervenir un conférencier-expert. Les participants pouvaient notamment interroger ce dernier et/ou réagir entre eux via Twitter, un espace de clavardage ou un canal YouTube; leurs questions étant relayées par l’équipe d’animation. Chaque réunion était enregistrée pour un visionnage en différé.
L’équipe d’animation recensait 900 inscrits le jour du lancement d’Itypa 1, 1 200 une semaine plus tard et 1 400 à la fin du cours. Les inscrits étaient en majorité des professionnels de la formation (enseignants du secondaire, conseillers ou ingénieurs pédagogiques, responsables de formation, consultants, enseignants - chercheurs, etc.). Selon cette équipe, les participants repérés comme « actifs » - cela à différents degrés - étaient environ 200, soit un taux de 17 % par rapport à la moyenne des inscrits. Ce taux correspond à celui constaté dans d’autres C-Moocs, notamment PLENK évoqué précédemment (Kop et Fournier, 2010). D’autres participants ne partageaient pas leurs travaux et/ou ne contribuaient pas à une quelconque réflexion collective. Ils n’étaient donc pas repérables par l’équipe d’animation. D’autres encore, bien que inscrits, avaient a priori abandonné dès les premières semaines; leur nombre était, selon cette équipe, impossible à détecter.
Le C-Mooc Itypa 1, dont viennent d’être synthétisés les principes généraux de fonctionnement, présentait un haut degré d’ouverture. Ce degré d’ouverture a été évalué en mettant en œuvre l’instrument GEODE ou Grille d’Evaluation de l’Ouverture D’un Environnement éducatif (Jézégou, 2010b). Cet instrument, validé au plan empirique, comporte une matrice de composantes (spatio-temporelles, pédagogiques et celles liées à la communication), une méthode de recueil de données par questionnaire et des bases de calcul pour le traitement de ces données. Cet instrument permet de situer l’ouverture d’un environnement éducatif donné sur un continuum constitué de dix graduations allant de « fermé » (degré d’ouverture = 0%) à « hautement ouvert + » (100 %). En l’occurrence, Itypa 1 présentait un degré d’ouverture estimé à 86 %, offrant ainsi d’importantes libertés de choix et d’action aux participants pour diriger eux-mêmes leur formation et leurs activités d’apprentissage (Jézégou, 2005). Par conséquent, ce C-Mooc leur donnait la possibilité d’exercer leur autodirection ou, en d’autres termes, de mettre en œuvre « le processus dans lequel les individus prennent l’initiative, avec ou sans l’aide d’autrui, de déterminer leurs besoins de formation, de recenser les ressources humaines et matérielles nécessaires à leur formation, de sélectionner et de mettre en œuvre les stratégies de formation adéquates, d’évaluer les résultats de leur formation » (Knowles, 1975).
Comme précisé à plusieurs reprises, le principal objectif de la recherche synthétisée dans cet article était de décrire et de comprendre les stratégies d’autodirection mises en œuvre par des participants au C-Mooc « Itypa 1 ». Ces stratégies ont été étudiées en mobilisant l’approche socio-cognitive de l’autodirection telle que développée en France depuis près d’une décennie dans le domaine des sciences de l’éducation (Carré, 2003a, 2010; Cosnefroy, 2011; Jézégou, 2011, 2013). Cette approche attribue à l’autodirection une double dimension : (1) une motivation autodéterminée et (2) des capacités d’autorégulation des apprentissages.
Figure 1: La double dimension de l'autodirection en formation d'après Carré (2003a).
« L’apprenant autodirigé est à la fois fortement engagé dans son propre projet (autodétermination), armé de techniques et de ressources cognitives, matérielles et humaines dont il est capable de réguler les usages en fonction de ses propres objectifs (autorégulation), le tout étant fortement soutenu et dynamisé par un sentiment affirmé de son efficacité personnelle à apprendre » (Carré, 2003a). Au sens large, le sentiment d’efficacité personnelle correspond à la croyance en son efficacité à mener à bien une activité donnée (Bandura, 2003).
Selon la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 1985, 2000, 2007), une personne intrinsèquement motivée agit par choix personnel et se sent l’auteur de ses décisions et de ses actes. Elle manifeste des comportements autodéterminés et uniquement animés par le plaisir, l’intérêt ou l’excitation que procure l’action. Une personne extrinsèquement motivée agit, quant à elle, en vue d’atteindre un résultat distinct du plaisir de l’action elle-même. Il existe quatre formes de motivation extrinsèque que Deci et Ryan (1985) situent sur un continuum d’autodétermination :
Figure 2: Le continuum de l’autodétermination d’après Deci et Ryan (1985).
Deux motivations extrinsèques sont autodéterminées : celle dite « intégrée » se caractérise par le fait que la personne choisit l’activité à mener - non pas par plaisir - mais en congruence avec ses convictions personnelles 6 tandis que la motivation « identifiée » est associée au fait que la personne choisit de participer à une activité dans le but que cela lui procurera des avantages bien identifiés et valorisants. 7 Les deux motivations extrinsèques - introjectée et à régulation externe - ne sont pas, quant à elles, autodéterminées. Elles sont essentiellement régies par l’influence exercée par des facteurs environnementaux. Ainsi, lorsqu’une personne agit de son propre chef mais sous l’influence de tels facteurs alors elle présente une motivation introjectée. 8 Une personne dotée d’une motivation à régulation externe agit en fonction de contraintes, de sanctions ou de récompenses extérieures. 9 La théorie de l’autodétermination permet de prédire les conséquences associées à ces différents types de motivation (Deci et Ryan, 1985, 2000, 2007; Laguardia et Ryan, 2000; Vallerand, Carbonneau et Lafrenière, 2009). Celles qui présentent le plus haut degré d’autodétermination - motivation intrinsèque et motivation extrinsèque à régulation intégrée - mènent à des conséquences les plus positives aux plans affectif, cognitif, comportemental. En revanche, les motivations les moins autodéterminées, notamment celles à régulation externe et à régulation introjectée, produisent des effets négatifs.
L’autorégulation renvoie, quant à elle, au contrôle que la personne exerce sur ses propres démarches cognitives, c’est-à-dire à la manière dont elle anticipe et élabore des stratégies, les évalue et les ajuste en fonction des résultats obtenus afin de mener à bien ses apprentissages (Boekaerts et al., 2000; Cosnefroy, 2011; Jézégou, 2013; Pintrich, 2000; Winne, 1996; Zimmerman, 2000). D’une manière plus spécifique et selon la perspective socio-cognitive (Pape, Zimmerman et Pajares, 2005; Schunk et Zimmerman, 2007; Zimmerman, 2000, 2001, 2002), l’autorégulation se déploie selon un processus cyclique composé de trois phases successives :
Figure 3: Le modèle cyclique de l’autorégulation d’après Zimmerman (2002).
Selon Zimmerman (2000, 2001, 2002), la première phase dite « d’anticipation » s’appuie sur une réflexion préalable au cours de laquelle interviennent deux étapes fondamentales : tout d’abord, le sujet évalue l’activité à réaliser en mobilisant des facteurs motivationnels tels que la perception de son efficacité personnelle au regard de ses réalisations et résultats précédents, les buts poursuivis et la valeur attribuée à l’activité; puis, il analyse l’apprentissage à réaliser, se fixe des objectifs et élabore une stratégie d’apprentissage pour atteindre ces objectifs. Cette phase prépare celle qualifiée de « contrôle » et au cours de laquelle l’apprenant applique la stratégie élaborée précédemment et contrôle la précision de sa mise en œuvre. La troisième et dernière phase dite « d’autoréflexion » consiste à évaluer l’efficacité de sa démarche en établissant des liens entre les résultats de l’apprentissage et la stratégie mise en œuvre, tout en identifiant les ajustements nécessaires.
Pour résumer, la recherche empirique à l’origine de cet article a mobilisé à la fois la théorie de l’autodétermination et la perspective socio-cognitive de l’autorégulation pour étudier la manière dont les participants avaient dirigé eux-mêmes leurs activités d’apprentissage par et dans le C-Mooc « Itypa 1 ». Elle s’est appuyée sur ce cadre théorique défini à l’avance, posant ainsi a priori un système déductif interprétatif.
La première semaine du lancement d’Itypa 1, 10 un appel à contribution pour la réalisation d’entretiens a été émis via un questionnaire en ligne publié dans le site du Mooc. Ce questionnaire précisait les objectifs visés ainsi que les principes déontologiques liés à tout travail de ce type (confidentialité des données recueillies; respect de l’anonymat des personnes interviewées dans les productions écrites). Seuls 58 inscrits se sont portés volontaires, tout en communiquant leurs courriels pour les contacter ultérieurement. Un mois après la fin du Mooc, 11 38 d’entre eux étaient toujours volontaires pour un entretien. Tous déclaraient avoir suivi la quasi-intégralité du cours, soit à minima neuf séquences sur les dix proposées. Le choix de conduire des entretiens, quelques temps après la finalisation du Mooc, est lié au recul souhaité de la part des personnes interviewées afin qu’elles soient en mesure d’expliciter a posteriori l’expérience vécue.
Le recueil de données, réalisé début 2013 sur la base d’un choix aléatoire des personnes à interviewer, a appliqué le principe de saturation empirique constituant ainsi un panel de 27 personnes sur 38 volontaires. Voici quelques informations générales sur ce panel qui comprenait 15 femmes :
Graphiques 1 et 2. Situations des participants interviewés et leurs tranches d’âges
Ces 27 personnes étaient toutes des professionnelles de la formation dont neuf exerçant (ou ayant exercé) dans le secteur privé. Les tranches d’âge étaient relativement élevées mais assez représentatives de l’ensemble des inscrits. Toutes ces personnes étaient francophones; deux d’entre-elles vivaient en Afrique du Nord, deux autres dans des régions françaises d’outre-mer; la majorité des personnes interviewées (donc 23 sur 27) résidait en France métropole.
Les 27 entretiens, d’une durée moyenne d’une heure, ont été réalisés par téléphonie Internet enregistrée en vue d’une transcription intégrale des propos recueillis. Ils s’appuyaient sur plusieurs questions guides liées à la finalité poursuivie par ce travail et aux cadres théoriques mobilisés tels que décrits précédemment. La première série de questions visait à identifier le degré d’autodétermination de leur motivation lors de leur engagement dans Itypa 1, tandis que l’objectif de la deuxième série était de repérer les facteurs de persistance à se former par et dans ce C-Mooc. Les trois autres séries de questions visaient à identifier et à décrire leurs conduites autorégulées liées aux trois phases du processus telles que formalisées par Zimmerman (2002) et résumées précédemment.
L’analyse qualitative 12 du contenu de ces entretiens a été réalisée en utilisant la méthode matricielle à regroupements conceptuels (Miles et Huberman, 2003). Ainsi, pour chacune de ces cinq matrices obtenues (une matrice par série de questions posées), une lecture ligne par ligne 13 a permis de dégager le profil de chacune des 27 personnes et d’établir des rapprochements entre les réponses aux cinq séries de questions liées à cette étude. Puis, une lecture colonne par colonne a permis de comparer les différents profils, au regard de chacune de ces séries de questions. L’analyse a consisté à identifier des différences/similitudes existantes entre les 27 profils au regard de l’autodétermination de leur motivation (engagement et persistance) et des processus d’autorégulation mis en œuvre.
De plus, cette analyse qualitative des données a également permis de regrouper ces 27 personnes en trois catégories : les actifs, les semi-actifs et les suiveurs; ces trois catégories étant par ailleurs mentionnées par Kop (2010, 2011).
Le principal caractère distinctif entre ces trois catégories est le niveau de contribution à des activités collectives.
Tableau 1. Un niveau différent d’implication dans des activités collectives selon la catégorie de participants au C-Mooc Itypa 1
|
7 Actifs |
12 Semi-actifs |
8 Suiveurs |
Initiateurs et/ou contributeurs |
|
|
|
Contributeurs aux forums, commentateurs des blogues, émetteurs de tweets |
|
|
|
Utilisateurs des documents et informations produits par les autres (actifs et semi-actifs) |
|
|
|
Un deuxième caractère distinctif, en termes d’importance et lié au premier, est la disponibilité temporelle pour participer aux activités collectives. Ainsi, les 12 participants entrant dans la catégorie des « semi-actifs » exerçaient parallèlement une activité professionnelle, a contrario des sept « actifs » (en majorité des demandeurs d’emploi ou retraités). Les activités collectives étaient, selon ces « semi-actifs », trop consommatrices de temps au regard de leur emploi du temps professionnel et familial. De plus, sept d’entre eux ont précisé que collaborer/coopérer à distance n’était pas une démarche habituelle de leur part, que ce soit en formation ou en situation professionnelle, bien qu’ils s’en sentaient par ailleurs capables. Tout au moins, ils ont tous contribué à la dimension collective du Mooc par des réponses aux messages déposés dans les forums du site, des commentaires d’articles publiés dans les blogues des autres participants ou encore par l’émission de tweets portant sur des informations jugées pertinentes. L’ensemble de ces activités étant également mises en œuvre par les participants « actifs ». Quant à la catégorie « suiveurs », elle regroupait huit participants ayant fait le choix de mener des activités en solitaire également faute de disponibilités personnelles. Leurs activités mobilisaient les informations et documents produits individuellement ou collectivement par les autres mais, sans réelle volonté d’y réagir, ni de partager leurs propres productions. Le niveau d’acculturation aux technologies numériques de communication et de collaboration ne semble pas être un critère distinctif entre les trois catégories de participants de ce panel, chacune de ces catégories comportant des « novices » et des « experts » dans l’usage de ces technologies.
Les 27 participants interviewés, quelle que soit leur catégorie d’appartenance telle que décrite précédemment, présentaient une motivation extrinsèque à régulation intégrée, cela au moment de l’inscription à l’Itypa. Ils avaient choisi eux-mêmes et de leur propre initiative de s’inscrire à ce Mooc; de plus, ils se sentaient libres du choix des actions qu’ils mettaient en œuvre. Comme souligné précédemment, ces deux caractéristiques traduisent un niveau élevé d’autodétermination à l’égard de la formation (Deci et Ryan, 1985). Cette motivation autodéterminée au moment de l’inscription était en premier lieu régie par le souhait de développer leurs connaissances et leurs compétences dans l’usage des technologies numériques et du web social. Puis, pour les personnes en situation d’emploi, s’ajoutait le désir en tant qu’acteurs du domaine de l’éducation de participer à un modèle de formation encore inédit dans le monde francophone en vue d’un éventuel transfert de l’expérience vécue en situation professionnelle auprès d’apprenants, jeunes ou adultes. Un second motif d’inscription émis plus particulièrement - mais dans une moindre mesure - par quelques personnes sans activité professionnelle au moment de l’enquête (retraités et demandeurs d’emploi) était de développer leur réseau social, en faisant connaissance avec d’autres participants et travailler avec eux selon un mode collaboratif. Toutefois, le motif dominant d’inscription de l’ensemble des 27 participants interviewés était animé par un but ou une attente de résultats en termes de perfectionnement sur le thème proposé par Itypa 1.
La persistance des 27 personnes interviewées à se former par et dans ce C-Mooc a notamment été soutenue par cette motivation initiale extrinsèque à régulation intégrée. Toutefois deux autres facteurs sont ensuite entrés en jeu. L’un et l’autre sont liés au plaisir suscité par leur participation à Itypa : (1) plaisir de rencontrer, d’interagir et de travailler avec les autres pour les « actifs » (facteur socio-affectif de persistance 14) et dans une moindre mesure les « semi-actifs », (2) plaisir d’apprendre pour les trois catégories de participants (facteur épistémique de persistance 15). Ainsi, leur persistance en formation était également régie par ces deux facteurs intrinsèques. La théorie de l’autodétermination précise que le plaisir au cours de l’action augmente le degré d’autodétermination de la motivation initiale (Deci et Ryan, 2000; Laguardia et Ryan, 2000; Vallerand, Carbonneau et Lefrenière, 2009). Ce qui est notamment le cas pour les participants interviewés une fois engagés dans Itypa 1 :
Tableau 2. Un degré d’autodétermination augmentant par et dans la participation à Itypa 1
|
Actifs |
Semi-actifs |
Suiveurs |
Motif(s) d’inscription au C-Mooc Itypa 1 |
Perfectionnement |
Perfectionnement |
Perfectionnement |
Facteurs de persévérance dans ce Mooc |
Perfectionnement |
Perfectionnement Socio-affectif |
Perfectionnement Epistémique |
En se référant à l’approche socio-cognitive telle que synthétisée précédemment, il est possible d’avancer que cette évolution vers un plus haut degré d’autodétermination de la motivation de ces 27 participants a soutenu leurs stratégies d’autodirection, plus particulièrement l’autorégulation de leurs activités d’apprentissage par et dans le C-Mooc Itypa 1.
L’ensemble des participants interviewés ont exprimé la difficulté à s’approprier la situation de formation proposée par Itypa 1, du moins lors des deux premières semaines. Cette situation était inédite pour eux. Néanmoins, tous avaient vécu des expériences antérieures d’autoformation que ce soit dans le cadre d’apprentissages informels en situation de travail, de situations d’autodidaxie ou encore dans le cadre d’études universitaires à l’âge adulte dont, pour huit d’entre eux, en formation à distance. Malgré ces expériences diverses, ils avaient ressenti une forme de déstabilisation, plus ou moins intense et en durée selon les cas. Cette déstabilisation était liée au volume important d’informations, de supports et d’outils proposés quant aux opportunités d’apprendre par soi-même et en relation avec les autres.
Une telle déstabilisation résultait aussi et surtout de la forte liberté de choix et d’actions offertes par ce C-Mooc. Elle a progressivement pu être surmontée grâce à la mise en œuvre progressive de processus d’autorégulation liés à chacune des trois phases du modèle cyclique (Zimmerman, 2000, 2002; Pape, Zimmerman et Pajares, 2005). Ainsi, la première phase dite « d’anticipation » a surtout consisté à identifier les activités d’apprentissage à conduire tandis que la deuxième a porté sur le « contrôle » de la conduite de ces activités. La troisième a essentiellement consisté à réaliser un retour réflexif sur de telles activités :
Figure 4: Le cycle d’autorégulation mis en œuvre par les participants interviewés.
Ces phases étaient communes à l’ensemble des participants interviewés et mettaient en jeu des processus communs d’autorégulation. Toutefois, la 2ième phase dite de « contrôle de la conduite de l’activité » comportait des processus complémentaires et spécifiques aux « actifs » et aux « semi-actifs ». L’ensemble de ces processus (communs et complémentaires-spécifiques) sont décrits de façon précise et synthétique dans les tableaux 3, 4, 5, et 6 (ci-après).
L’identification des activités à conduire (phase 1 d’anticipation) présentait quatre principaux processus opérant chacun par des mécanismes particuliers (tableau 3, ci-après). Ils sont communs aux trois catégories de participants :
Tableau 3. Les processus d’autorégulation lors de phase d’identification des activités à conduire
Phase d’identification des activités à conduire |
|
Processus d’autorégulation |
Principaux mécanismes associés |
|
Exploration des informations et ressources mises à disposition par l’équipe d’animation dans le site du Mooc et dans la première lettre quotidienne pour amorcer la thématique |
|
Etude des questionnements et réflexions proposés par cette équipe dans la plateforme pour aider à déclencher le travail |
|
Autodiagnostic d’écart entre ses buts initiaux en participant à Itypa 1 et son niveau de compétence au regard de la thématique et des activités proposées (rôle important joué par le sentiment d’efficacité personnelle) |
|
Priorité donnée aux activités devant faire l’objet d’un apprentissage |
La deuxième phase a essentiellement consisté à contrôler la conduite des activités jugées prioritaires à l’issue de la phase précédente. Ce contrôle a été réalisé par la mise en œuvre d’une stratégie permettant d’atteindre les objectifs visés. Cette stratégie mobilisait plusieurs processus communs d’autorégulation auxquels s’ajoutaient quelques processus spécifiques d’une catégorie de participants à l’autre, comme le montrent les descriptions synthétisées dans les tableaux 4 et 5 qui suivent.
Tableau 4. Les processus communs d’autorégulation lors de la phase de contrôle de la conduite des activités
|
Phase de contrôle de la conduite des activités |
|
|
Processus communs d’autorégulation |
Principaux mécanismes associés |
Les 3 catégories de participants : actifs, semi-actifs et suiveurs |
|
Recherche et capitalisation personnelle d’informations (multi-lieux et multi-supports) |
|
Repérage des réflexions individuelles développées dans les blogues des autres participants |
|
|
Consultation et appropriation des productions individuelles et/ou collectives |
|
|
Consultation/participation aux forums/envoi de tweets |
|
|
Structuration et régulation du temps au cours de l’action en fonction des circonstances/évènements/autres activités (professionnelles, familiales, loisirs, etc.) |
Tableau 5. Les processus complémentaires et spécifiques d’autorégulation des actifs et des semi-actifs lors de la phase de contrôle de la conduite des activités
|
Phase de contrôle de la conduite des activités (suite) |
|
|
Processus complémentaires et spécifiques d’autorégulation |
Principaux mécanismes associés |
Les actifs |
|
Lancement de réflexions collectives et/ou de micro-projets |
|
Animation interne du groupe constitué, coordination du travail et parfois modération des échanges |
|
Les semi-actifs |
|
Réponses aux questions posées dans les forums, diffusion de ses productions individuelles, commentaires sur celles des autres |
La phase suivante de retour réflexif sur les activités conduites (phase d’autoréflexion) a tout d’abord mobilisé un processus d’auto-évaluation de ces activités puis un processus de réajustement stratégique (tableau 6 ci-après). Ces deux processus et mécanismes associés d’autorégulation étaient communs aux trois catégories de participants interviewés :
Tableau 6. Les deux processus d’autorégulation à l’œuvre dans la phase de retour réflexif sur les activités conduites
Phase de retour réflexif sur les activités conduites |
|
Processus d’autorégulation |
Principaux mécanismes associés |
Auto-évaluation |
Estimation du niveau d’atteinte de l’objectif fixé en termes d’apprentissage |
Réajustement |
Choix de modifier/améliorer ou modifier la stratégie adoptée pour la prochaine thématique hebdomadaire |
Au regard du processus circulaire et itératif, tel que décrit précédemment phase par phase, force est de constater que les mécanismes d’autorégulation associés témoignent d’un fort contrôle exercé par ces participants sur leur formation « par et dans » ce Mooc de type connectiviste.
Conclusion
Les participants interviewés ont fait preuve à la fois d’une motivation autodéterminée et de puissantes stratégies d’autorégulation. Par conséquent, ils manifestaient un haut niveau d’autodirection (Carré, 2003; Jézégou, 2010a, 2013; Schunk et Zimmerman, 2007). De plus, ils se sentaient capables d’atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés et de mener à bien les activités qu’ils avaient choisies. Leurs stratégies d’autodirection, ainsi soutenues par un sentiment élevé d’efficacité personnelle, ont été favorisées par deux principaux facteurs extérieurs. Le premier est lié aux libertés de choix et d’action offertes par ce C-Mooc et, par conséquent, aux importantes possibilités d’autodétermination quant aux conditions liées à leurs apprentissages. Le second facteur extérieur renvoie au rôle joué par l’équipe d’animation pour inciter les participants à travailler/collaborer ensemble en mettant en place et/ou en contribuant à des activités collectives. L’équipe a ainsi permis d’initier et de soutenir le développement d’une dimension socio-éducative au sein même du Mooc. Selon les personnes interviewées, cette dimension socio-éducative les a aidé non seulement à persévérer, mais aussi à réguler elles-mêmes leurs activités d’apprentissage lors des trois phases d’autorégulation telles que décrites précédemment. Le développement d’une telle dimension a été principalement assuré par les personnes les plus « actives », dans une moindre mesure par les « semi-actives » tandis que les autres en ont bénéficié (catégorie des « suiveurs »).
Les résultats de cette recherche empirique, pour ce qu’ils ont d’essentiel, ne peuvent pas être généralisés à la population totale des participants à Itypa 1. En effet, ils sont issus de l’analyse d’un corpus de données recueillies auprès d’un panel très réduit de personnes, au regard du volume global de participants. Ce panel, construit sur une base aléatoire ainsi que sur le critère de saturation empirique, n’était pas forcément représentatif de la population totale des participants à ce C-Mooc. En d’autres termes, les 27 personnes de ce panel ont développé des stratégies efficaces d’autodirection; mais il est méthodologiquement impossible de transposer ce phénomène aux participants auxquels cette recherche empirique n’a pas eu accès.
De plus, les personnes interviewées possédaient a priori des prérequis cognitifs et métacognitifs nécessaires à l’autodirection; des prérequis dont ne disposaient peut-être pas d’autres participants à ce C-Mooc. Nombre d’entre eux ont pu rencontrer des difficultés à se fixer des objectifs d’apprentissage, à produire/partager des ressources, à s’inscrire dans une logique de travail collectif à distance ou plus largement à diriger eux-mêmes leurs activités d’apprentissage en interdépendance avec les autres, cela dans un contexte éducatif de grande liberté de choix et d’action.
Par conséquent, les résultats du travail à l’origine de cet article ont une portée épistémique limitée. Néanmoins, ils apportent quelques éléments - étayés au plan théorique - de réponse à la problématique de l’autodirection en contexte de C-Mooc; ils contribuent ainsi au traitement scientifique d’une telle problématique. De façon plus large, ils invitent à orienter le regard des chercheurs et des professionnels du domaine vers le vécu des participants à un C-Mooc dans un contexte où dominent des considérations politiques, socio-économiques et technico-pédagogiques sur les Massive Open Online Courses.
Annie Jézégou, est professeure des universités en sciences de l'éducation à l'université de Lille 1 (France). Elle dirige l'équipe de l'équipe de recherche Trigone-Cirel (EA 3454) spécialisée dans le domaine de la formation des adultes. Ses travaux théoriques et empiriques portent, depuis près de quinze ans, sur l'identification, la caractérisation et la modélisation des dimensions éducatives favorables à l'exercice et au développement de l'autodirection des apprenants adultes. Ces dimensions éducatives portent plus spécifiquement sur les environnements numériques d'apprentissage en contexte institué (e-learning, blended learning, e-portfolio, mooc, etc.). Annie Jézégou a produit de nombreuses publications scientifiques en lien avec ces travaux. E-mail: annie.jezegou@univ-lille1.fr